Étienne Bauzin

Avant de conclure avec la signature et la promulgation du Concordat qui mit fin à la guerre de religion que nous venons de suivre, il me faut vous parler d’un événement, une sorte de guéguerre de religion qui s’est déroulée à Moulins et que nous pouvons considérer comme une suite logique de la Révolution française.

 

Étienne Bauzin

 

Étienne Bauzin naît à Metz, le 13 septembre 1747, d'un père, maître cordonnier. Il se rend à Paris et suit simultanément les cours de l'École de droit et de l'École de Médecine.  Licencié  en droit civil  et en droit  ecclésiastique,  il sollicite,  avant de passer sa thèse  de doctorat en médecine,  son admission au séminaire de Metz.

Ordonné prêtre le 19 septembre 1772, il devient successivement vicaire à Corny, à Vic, à Fey, à Lorry, à Azerailles et, le 16 novembre 1781, à Plappeville. Nommé chanoine de Saint-Sauveur – le chapitre et la collégiale Saint-Sauveur se situait place Saint-Jacques – et prend possession de sa stalle, le 5 mai 1787.

Pendant quinze ans, ce gradué de l'université, qui pouvait prétendre à une dignité de chapitre cathédral, perçoit le salaire d'un « smicard ». Cet état de fait explique, voire éclaire sa conduite pendant la Révolution. Avant de poursuivre son « cursus honorum » que nous tirons de l'oeuvre de l'abbé Jean Eich, je vous rappelle qu’Etienne Bauzin séjourne à Plappeville plus de 5 ans, de 1781 à 1787. Or Plappeville dépendait de Lessy, et son supérieur direct n’était autre que Jean Louis Dupleit. Ce dernier faisait partie de la brochette de curés patriotes qui éliminèrent l’évêque de Metz, Louis Joseph de Montmorency Laval. Ces deux prêtres très instruits, se connaissant et s’appréciant mutuellement, je conjecture qu’Etienne Bauzin faisait partie de la cabale contre l’évêque de Metz. Intéressons-nous à ce que l’abbé Jean Eich nous apprend :

« La Révolution trouve en lui un adepte fervent : député du clergé au Comité patriotique, officier municipal, lors de la constitution de la première municipalité de Metz, enrôlé dans la Garde nationale, aumônier en second de la Garde, adhérent, puis président de la Société des amis de la Constitution. Le 16 janvier 1791, Étienne Bauzin prête, à la cathédrale de Metz, le serment constitutionnel. L'évêque constitutionnel Francin, ancien curé de Koenigsmacker,  le nomme  vicaire épiscopal - vicaire général. Malgré ses fonctions ecclésiastiques, il reste membre de la municipalité et, en cette qualité, chargé de l'enlèvement  de  tous les  objets  précieux  des maisons  religieuses  supprimées. Il prête le

 serment de liberté et d'égalité,  puis devient membre du Comité révolutionnaire, en 1793. »

 

Il couronne sa carrière révolutionnaire par une apostasie publique que je vous ai reproduite in extenso. Le 9 février 1794, il épouse Jeanne-Françoise Richard, ancienne religieuse et divorcée d'avec Baptiste Potier, homme de loi à Paris.

Ouvrons une parenthèse... Jeanne-Françoise Richard était la nièce du célèbre docteur Antoine Louis, qui étudia et mit au point la non moins célèbre machine qui servait à la décollation pendant la Révolution : la guillotine. Il l'expérimenta sur des cadavres à l'hôpital Bicêtre. Il en fut l'inventeur et le docteur Guillotin, qui connaissait le système, ne fit que préconiser la décollation par machine.

Étienne Bauzin, qui joue un très grand rôle pendant la Révolution, fait cause commune avec les ultras, puis devient professeur de législation à l'École Centrale de Metz. Destitué de ses fonctions, le 18 août 1802, il vit retiré dans son domaine de Préville, acquis comme bien national. Son aisance lui permet une certaine générosité à l'égard des pauvres et lui vaut l'attachement de la population moulinoise. Il meurt, le 6 juin 1835, sans renier son apostasie. Monseigneur Besson, évêque de Metz oppose une fin de non-recevoir à la demande d'une sépulture chrétienne. Les Moulinois, maire en tête, forcent les portes de l'église et chantent les psaumes des défunts.

Je vous donne, ci-après, la lettre qu’envoie le maire de Moulins au rédacteur du Courrier de la Moselle et que ce denier publie, le13 juin 1838 :

 

      « Intolérance catholique.

Monsieur le rédacteur,

Les habitans (sic) de M*** viennent de rendre les derniers devoirs à l'un de leurs plus anciens et recommandables concitoyens, M. Étienne B***. Au respect acquis naturellement à la mémoire d'une vie honorable et bienfaisante, se joignait un vif intérêt causé par le refus d'inhumation, bien que la demande en eût été adressée au curé par le maire au nom des habitants et surtout au nom du respect des formes religieuses. Un permis demandé  à l'Évêché fut sèchement refusé en montrant du doigt le nom du défunt inscrit au Livre des proscrits de l'église, sous peine d'interdiction du curé. Il ne restait plus aux habitans indignés de cet outrage, renouvelé pour la troisième fois envers les époux B***, bienfaiteurs des pauvres et de la commune, qu'à se passer du ministère du curé, et à rendre eux-mêmes les honneurs les plus vrais, ceux rendus par la reconnaissance des pauvres et par l'estime des honnêtes gens; et le concours en était grand ! Le cortège immense, formé de toute la population du lieu et d'une foule d'habitans des environs et des nombreux amis du défunt, conduisit le cercueil porté à bras, selon l'usage, par les habitans eux-mêmes au nombre de douze, précédé du chant des prières funèbres, et d'un enfant portant la croix, cet emblème sublime de la seule loi sur terre qui nous commande le bien, et qui n'a pour nous parler que l'image du supplice souffert pour l'annonce du règne de justice et de charité. Le convoi déposa le corps au milieu de l'église avec cet ordre et ce recueillement du peuple qui fait aussi son devoir, quand même.

L'église, remplie jusqu'au dehors, étincelait d'un brillant luminaire, et retentissait de chants d'un choeur nombreux qu'accompagnait l'orgue. L'autel, seul, désert et muet, attestait l'inflexible entêtement de la discipline catholique, tandis que l'image du Christ semblait, du haut d'un vieux tableau qui domine l'autel, accuser l'apôtre absent d'oublier sa mission de tolérance et de charité.

Après avoir prié, sans prêtre, les habitans avec le même recueillement, portèrent du sein de l'église  au  sein  de la  tombe celui qu'ils  honoraient  de   leurs regrets.  Après les derniers chants, le maire jeta le premier un peu de terre dans la fosse, et prononça ensuite quelques mots pour retracer une vie honorable, utile et bienfaisante, et termina en faisant connaître aux habitans le dernier bienfait de M. B*** : une horloge pour la commune et une somme d'argent pour les pauvres.

Ainsi s'accomplit avec ordre et dignité une cérémonie, qui, nous en convenons, était contraire à la loi. Car, si les habitans, dans cette circonstance, avaient demandé à l'autorité civile ou ecclésiastique la faculté de se réunir, sans prêtre, pour dire dans l'église des prières autour d'un mort qu'ils voulaient honorer,  nul doute qu'en vertu de je ne sais  quel Concordat, on ne l'eut refusé ou même empêché. Nous avons demandé à l'évêque de permettre au prêtre de prier avec nous : il nous a refusé ; c'est son droit. Alors nous avons été dans l'église dont nous avons les clefs, et qui était vacante, pour y accomplir un devoir en honorant les morts, et non pour  braver l'autorité des prêtres, car nous savons qu'il y en a encore qui sont bons par leurs oeuvres. Enfin, nous avons agi de bonne foi, croyant remplir nos devoirs de citoyens et de chrétiens. Et pourtant, monsieur, voyez un peu..... au dire du prêtre, nous n'aurions fait qu'une mascarade ! En vérité, j'ai bien peur qu'il n'ait raison, car nous avons tâché de faire tout comme s'il eût été avec nous. Une mascarade ! Je tremble devant cette vérité échappée imprudemment et je ne saurais m'expliquer cette contradiction,  à moins d'admettre que dans ces religieuses cérémonies,  pendant que nous prions  de bonne foi  au fond de nos coeurs, M. le curé, au fond du sien, ne pense, d'ordinaire, qu'à son argent et à notre crédulité.

Agréez, monsieur, l'assurance, etc. »