La Guillotine sèche

La Guillotine sèche

 

Définition

 

Cet euphémisme désigne la peine de déportation ou de relégation à vie.

2 412 prêtres furent ainsi conduits vers des ports de l'Ouest de la France : 76 à Nantes et Brest, 1 494 à Blaye et 829 à Rochefort. Nous ne nous intéresserons qu’à Rochefort, lieu de détention de Jean François Jenot.

Comme mes sources proviennent soit de Nicolas Jean Thibiat soit de rescapés que je relève dans la « positio », la cause des prêtres déportés à Rochefort, mes citations sont référencées :

 

Ø Nicolas Jean Thibiat

Ø Positio.

 

Un arrêté du 6 pluviôse an II (25 janvier 1794) du Comité de Salut Public stipule que :

 

« Les ecclésiastiques sujets à la déportation seront conduits de brigade en brigade par la gendarmerie nationale dans les ports de Bordeaux et de Rochefort, en calculant les distances du lieu de départ à celui de l'un de ces ports pour les envoyer au plus voisin. Ils seront enfermés, à leur arrivée, dans une maison d'arrêt que le ministre de la marine est autorisé à faire préparer pour les recevoir.

Le ministre de la marine fera affréter des bâtiments de commerce pour les conduire à leur destination, conformément au décret du 30 vendémiaire, ils seront embarqués au fur et à mesure que les bâtiments pourront les recevoir.

Le ministre indépendamment des vivres nécessaires à la traversée, est autorisé à faire embarquer des subsistances, farines et légumes secs pour la consommation de six mois de chaque individu déporté; ces subsistances leur seront laissées sur la côte d'Afrique, lors de leur débarquement.

Il sera également embarqué avec eux les instruments aratoires, grains, semences et autres objets qui peuvent être d'une utilité future à leur subsistance. »

Positio

 

Vingt-cinq écrits émanent de témoins directs, dont dix-huit de rescapés. Nous emprunterons à Nicolas Jean Thibiat, ancien supérieur du grand séminaire de Metz et vicaire général de notre diocèse, quelques extraits de son récit de l'acheminement des déportés de la Moselle vers Rochefort. Quant au séjour sur les pontons de Rochefort de la Marine nationale, nous emprunterons les extraits des rescapés relevés dans la « Positio ».

 

 1)Document établi en vue de la béatification de certains prêtres déportés.

 

L'Acheminement vers Rochefort

 

Deux convois quittent Metz : le premier, le 21 avril 1794 ; le second, le 16 mai. Nicolas Jean Thibiat et Jean François Jenot, notre curé, font partie de ce dernier. La chaîne – convoi des déportés – parcourt quelque 706 kilomètres, en 27 étapes, arrive à destination, le 15 juin ; soit une durée de 30 jours :

 

« On partit donc, un vendredi, 16e jour de mai, vers les cinq heures du soir, au milieu d'une foule immense, dont les uns applaudissaient au spectacle, les autres gémissaient dans un morne silence... Dix gendarmes étaient chargés de les conduire, et s'il leur fut recommandé de molester ceux qu'ils tenaient entre leurs mains, ils s'acquittèrent fidèlement de leur devoir... »

Nicolas Jean Thibiat

 

L'abbé Thibiat n'aime pas les gendarmes et s'en plaint à plusieurs reprises, dans son écrit, alors que, dans d'autres relations, des confrères leur reconnaissent quelque humanité. À l'égard des prêtres constitutionnels, il manque d'objectivité et, de la part d'un prêtre, de charité. Le premier jour, dès l'arrivée à Pont-à-Mousson, il écrit :

 

Là, on se reconnut réciproquement et l'on vit avec peine que les déportés n'étaient pas de la même classe : il y avait parmi eux plusieurs constitutionnels, et par conséquent, beaucoup de précautions à prendre pour ne pas troubler la paix, si nécessaire  en de telles circonstances. Quelques-uns des prêtres fidèles s'affligeaient de se voir ainsi confondus avec des prévaricateurs, eux, qui avaient obéi à leur conscience ; on leur répondit que Dieu avait ses desseins dans ce mélange, et que la vérité paraîtrait avec plus d'éclat, par la conduite différente des uns et des autres, ce que la suite des événements confirma.”

Nicolas Jean Thibiat

 

Jean-Fançois Jenot fait partie de ces “prévaricateurs” puisque, en tant que député à la Constituante, il vote le décret de la Constitution Civile du Clergé. Ce mépris à l'égard des constitutionnels me met mal à l'aise et me porte à conjecturer que les “bons réfractaires” se sont désolidarisés, au cours de leur détention, de ces “mauvais jureurs" les rendant responsables de leurs maux.

 

«Le mercredi 21, les déportés arrivèrent à Dommartin-le-Saint-Père. Les habitants du lieu s'empressaient de procurer des lits aux déportés, se montrant, par leur conduite charitable et respectueuse, absolument étrangers aux scènes d'horreur qui avaient eu lieu dans cette commune, où l'on avait revêtu les pourceaux des ornements sacrés...

Le 24, jour de samedi, on partit de Troyes sur des voitures extrêmement incommodes ; elles étaient très élevées et sans échelles ; placés deux à deux, il fallait se tenir fortement attaché l'un à l'autre pour ne pas tomber... On arriva à Villeneuve-l'Archevêque où l'on fut logé dans deux auberges...

Le 27, mardi des Rogations, les déportés furent conduits à Courtenay et logés dans des auberges. Cette petite ville leur parut remplie d'une populace suréminemment patriote, qui les insulta à leur arrivée et à leur départ...

Le 29, jour de l'Ascension et en même temps jour de décade, ils quittèrent ce malheureux gîte et allèrent à Bellegarde... Les déportés furent reçus et accueillis au château, et bientôt les habitants vinrent demander grâce aux gendarmes de se partager les prêtres pour les héberger dans leurs maisons : cette soirée fut un moment d'adoucissement aux peines des déportés, pour les disposer à en souffrir de nouvelles...

On partit d'Orléans le dimanche 1er juin, pour se rendre à Beaugency, où l'on devait passer deux nuits... On mit les déportés dans une étroite prison, où l'on passa ces deux nuits, les uns sur l'escalier, les autres sur le plancher. Un déporté, âgé de 74 ans, trouva dans ce misérable réduit la maladie qui abrégea bientôt ses souffrances...

Le 4 juin, les déportés furent conduits par la Loire à Amboise, et le lendemain ils voyagèrent aussi par la Loire ; mais ces deux jours furent très pénibles par les injures grossières qu'ils eurent à endurer de la part des passagers, des gendarmes et des femmes même. À Amboise, les déportés furent logés dans des auberges, ce qui donna facilité de soulager le malade. Mais le séjour fut trop court pour que ces soulagements fussent efficaces...

Le 6 juin, les déportés quittèrent sans regret la ville de Tours pour se rendre à la petite ville  de  Sainte-Maure, où  ils furent logés dans des auberges avec séjour ; ils voulurent en  

 profiter pour soulager le malade. Mais il était trop tard...

Le 8 juin, jour de la Pentecôte, on se disposa à partir, les gendarmes donnèrent des ordres pour que les déportés montassent sur les voitures, et chacun se mettait en devoir de partir. Deux déportés vinrent encore voir (le malade), et l’un d’eux s'apercevant qu'il délirait, engagea l'autre à appeler leurs confrères ; mais avant qu'ils n'arrivassent, le malade, muni d'une dernière absolution, rendit l'âme à son Créateur... 

Le 9, lendemain de la Pentecôte, on partit de Châtellerault. La route se dirigea, à dessein sans doute, par la promenade de cette petite ville, où l'on rencontra un tombereau tendu en noir et attelé de chevaux affublés d'étoles et de chasubles, le tout accompagné de chants lugubres pour insulter les déportés. »

Nicolas Jean Thibiat

 

Le soir de ce jour, ils arrivent à Poitiers, où ils subissent la “terrible fouille”. Toutes les chaînes passant par Poitiers subissent le même sort.

 

« Le 15 juin, jour de la Sainte-Trinité, on quitta le dernier gîte pour se rendre à Rochefort : ainsi, le voyage, depuis le moment du départ, fut d'un mois entier. »

Nicolas Jean Thibiat

 

Durant ce mois, les prêtres rencontrèrent des aigrefins qui s'apitoyaient sur leur sort pour mieux les dépouiller. Mais ce qui attend les déportés sur les pontons de Rochefort dépasse en horreur ce qu'ils avaient enduré jusqu'à présent.

 

Les Pontons de Rochefort

 

Les pontons de Rochefort ne sont pas des navires désarmés, mais deux navires négriers, les “Deux-Associés” et le “Washington”, en parfait état de marche. Réquisitionnés par la Marine Nationale, ils serviront de camp de concentration flottant. Le premier servira de geôle à quelque 400 déportés ; le second, à quelque 300 déportés venus de différents départements. Les survivants, et premiers embarqués, y séjourneront pendant 302 jours. Essayons de nous représenter une journée à bord de ces prisons flottantes et commençons par son terme, en nous référant au rapporteur de “La Cause des Prêtres déportés” ainsi qu'aux écrits des rescapés :

 

« ...alors que ce moment de la journée est pour tout homme le début d'un repos réparateur, il était au contraire, pour les prêtres, celui du paroxysme de la souffrance tant les conditions de réclusion avaient été rendues inhumaines…

À huit heures du soir, j'entends le fatal sifflet qui annonce l'ordre de descendre dans les cachots. J'aperçois sur toutes les figures un mouvement d'horreur involontaire, semblable à celui qu'inspirerait l'approche d'un tombeau où il faudrait s'ensevelir tout vivant. La garde qui nous environne précipite nos pas. En un instant, je me trouve en bas de l'écoutille de l'entrepont. Je n'y suis pas encore entré que déjà je me trouve suffoqué. Il en sortait des exhalaisons fétides et brûlantes qui m'arrêtent dès les premiers pas. Il fallait cependant se décider à entrer dans cette fournaise ardente. Pour parvenir à l'endroit qu'un confrère charitable m'avait ménagé auprès de lui, il me fallut passer au-dessus d'une quarantaine de corps douloureusement étendus, forcé à chaque pas de froisser les membres des malheureux qui obstruaient le passage. Pressé moi-même dans tous les sens, j'étouffais, et ce ne fut qu'après des efforts pénibles que je pus me rendre à la place désignée. J'étais inondé de sueur…

Une  fois la totalité  des  déportés  entassés  dans  l'entrepont   pour   la   nuit,  les  matelots verrouillaient  la  porte  qui  fermait  la cage  où se  trouvait  l'échelle de  l'écoutille...Cette situation durait jusqu'au matin, quoiqu'il arrivât. Il n'a pas manqué d'incidents où la vie de tel  déporté,  voire  même  de  tous, se trouvât mise en  danger : rien  n'y faisait ; l'entrepont restait clos malgré tous les appels à l'aide... plusieurs prêtres y moururent d'asphyxie, de fièvre ou de délire…

Il était impossible de se tenir sur son séant ou de s'étendre sur le dos, dans un espace si étroit, nous étions réduits à rester sur le côté, à même les planches, la tête des uns aux pieds des autres, en sorte que chacun respirait l'odeur des pieds de ses deux voisins. Nous dépassions presque tous la taille de cinq pieds, quelques-uns approchaient de six ;” (5 pieds correspondent à 1m.62 ; 6 pieds, à 1m.94) “il fallait donc se contracter, se raccourcir, se recourber sur soi-même pour tenir dans une longueur de cinq pieds. De là la circulation du sang gênée, les jointures engourdies, les nerfs dans une tension forcée, des douleurs inexprimables, des crampes qui faisaient jeter les hauts cris et le désir légitime d'être délivré de la vie par celui qui nous l'avait donné… »

Positio

 

La nuit, certaines personnes se lèvent pour faire leurs besoins :

 

« Aux quatre extrémités de l'entrepont étaient disposés des baquets de bois destinés aux besoins naturels des déportés. Ces baquets étaient cause d'un double supplice ; d'abord par les exhalaisons infectes qui en sortaient, et aussi par les allées et venues continuelles qu'ils occasionnaient…

Les baquets ne pouvaient, comme on s'en doute bien, suffire à une aussi grande quantité de malheureux : aussi la nuit touchait à peine à son milieu que des flots d'ordures et d'immondices coulaient de toutes parts et nous inondaient, en même temps qu'ils répandaient la corruption et la mort. Plus d'une fois nous demandâmes au moins la liberté d'aller vider ces tonnes d'ordures : on fut toujours sourd à nos prières, ou si on les entendait, ce n'était que pour y répondre par des outrages ou des railleries féroces…

Encore y avait-il toujours un déporté et même deux qui n'avaient pas d'autres places pour se mettre et qui se trouvaient fort heureux de pouvoir passer la nuit sur ces sièges. Jugez de l'embarras quand il fallait aller à ces bailles, on était obligé de se traîner sur les corps les uns des autres, car on ne pouvait même marcher à quatre pattes ; quand on revenait, il fallait errer longtemps sans pouvoir retrouver sa place, souvent on s'égarait jusqu'à ne plus savoir où l'on était, on ne se reconnaissait qu'en tâchant d'appeler ses voisins, qui presque toujours n'étaient pas en état de parler assez haut pour se faire entendre, de sorte qu'à chaque instant on était foulé par ceux qui allaient et venaient, cherchant leur place où ils pussent s'arrêter…                               

Puis vient l'ultime épreuve de la nuit. Celle que pratiquement toutes les relations rapportent comme ayant laissé le souvenir le plus effroyable : une fumigation endurée entre une demi-heure et une heure (les témoignages varient un peu), provoquée par des boulets chauffés au rouge et plongés dans un baquet de goudron. Cette opération, prétendument effectuée pour purifier l'air, avait lieu en présence des déportés, en réalité dans le but d'altérer rapidement leur santé…

On nous régalait tous les matins mais au moment seulement où nous allions vider le cachot, d'une fumigation de goudron. Cette opération consistait à plonger dans un petit tonneau plein de cette matière, deux ou trois boulets rouges, et tellement rouges qu'ils produisaient quelquefois, au milieu des épaisses ténèbres où nous étions plongés et des matières combustibles qui nous environnaient,  une  flamme  subite,  aussi  dangereuse qu'effrayante. On se hâtait de l'éteindre, il est vrai ; mais ce qu'on ne cherchait point à arrêter, ou  plutôt ce qu'on  avait pour  but d e produire, c'était une  fumée épaisse  et d'une odeur forte et âcre, qui se répandait par flots dans notre cachot et qui, pour prévenir la maladie, commençait par nous donner la mort. Aussitôt chacun de  tousser, de moucher, de cracher jusqu'à l'extinction. Encore si on eût permis à ceux que cette fumée incommodait le           plus de sortir : mais une pareille grâce était presque sans exemple. Ainsi, que l'on fut enrhumé, pulmonique, asthmatique, n'importe ! Il fallait, malgré qu'on en eût, respirer cette fumée irritante, dût-on cracher le sang, dût-on rendre l'âme au milieu des efforts et des espèces de convulsions qu'elle occasionnait…

Pendant que durait ce tourment nous étions obligés de nous coucher sur le plancher pour ne pas tousser jusqu'à cracher le sang ; ce qui malgré cette situation arrivait encore à quelques-uns… »

Positio

 

Je terminerai ces horreurs de la nuit avec le témoignage de l'enseigne de vaisseau qui commandait les “Deux-Associés” :

 

« ... je faisais descendre dans le fond de la cale un baril de goudron. Un boulet rouge y était plongé, et le bitume en vapeur épaisse se répandait partout. Ah! Les calotins ! Ils criaient, ils suaient, ils étouffaient, ils n'avaient plus d'air, c'est vrai, mais enfin cette purification républicaine avait sa raison dans les règlements. Une sueur âcre, visqueuse, gluante, chargeait l'atmosphère embrasée. Les aristocrates ont dit que les damnés ne connaissent pas ce supplice. Les aristocrates ne m'ont pas rendu justice. Quand tous les corps étaient haletants, fumant et suant par tous les pores, je faisais ouvrir les panneaux. Je commandais : Tout le monde sur le pont ! Alors tous, à peine vêtus, à tâtons, dans un pêle-mêle fantastique, tous accouraient. J'aurais fait fusiller un traînard. Leurs dents claquaient. Ils tremblaient sous la bise froide, ils frissonnaient comme on frissonne en pleine Sibérie. »

Positio

 

Après la fumigation, commence la journée sur le pont. Les déportés disposent de la moitié avant du pont, soit une surface de 0,38 m² sur les Deux-Associés, de 0,50 m² sur le Washington par déportés. Pour dormir, j'oubliais de vous le signaler, les déportés ne disposent que d'une surface de 0,50 m² sur les Deux-Associés, de 0,55 m² sur le Washington et d'un volume de 0,27 m3 sur le premier, et de 0,34 m3, sur le second. Mais revenons à la journée :

 

« Au reste, à cela près que nous respirions plus aisément quand nous étions sur le pont, nous y étions à peu près aussi gênés que dans l'entrepont et nous ne faisions que changer de genre de supplice.  Comme on nous refusait le plus souvent la permission d'entrer pendant le jour dans l'entrepont, nous étions réduits à nous tenir debout sur nos pieds des journées entières sur cette petite partie du pont qui nous était délaissée. Elle était toujours embarrassée de morceaux de mâts liés ensemble, de câbles et de tonneaux, qui étaient arrangés pour ne nous donner presque aucune facilité pour nous asseoir. Les vieillards et les infirmes, qui étaient en assez grand nombre, occupaient le peu de sièges qu'offraient les pièces de bois. »

Positio

 

Les déportés sont astreints à une corvée désagréable, celle de vider les baquets :

 

« Tous les jours, encore  une dizaine  de nous devaient à leur tour porter sur le pont et jeter

à la mer les immondices de la nuit. Elles étaient contenues dans six grands baquets très pesants  et très  difficiles à manier. Il fallait les  monter par une  échelle  d'une  douzaine de       

 

degrés. L'un de nous montait en avant, et un autre soutenait le baquet dont la moindre oscillation le couvrait d'ordure. Mais la charité nous apprenait à vaincre les répugnances de la nature ; nous nous réjouissions  de  pratiquer  cette  vertu  les uns  envers  les  autres,

même dans les services les plus vils. »

 Positio

À bord des anciens navires, le cabinet d'aisance se situait dans la poulaine, pièce de bois qui s'avançait au-delà de la proue du vaisseau sous le beaupré :

 

« Durant la journée, les besoins de la nature doivent se satisfaire à la poulaine, c'est-à-dire tout à fait à l'avant du navire. Cela n'est pas sans danger pour des hommes totalement  étrangers à la navigation, parmi lesquels beaucoup de vieillards…

  Placés auprès de la poulaine, sur certaines pièces de bois souvent très éloignées l'une de l'autre ; nous étions comme sur un précipice ; la mer que nous voyions sous nous, et qui était parfois très agitée, nous faisait frémir…

  Un prêtre nettoyait tous les jours la poulaine, lieu destiné pour les besoins naturels, pour ôter à l'équipage l'occasion de blasphémer le saint nom de Dieu, ce qu'ils ne manquaient de faire, lorsqu'ils la trouvaient sale. »

Positio

 

Intéressons-nous à la nourriture, les déportés avaient droit à 190 grammes de pain :

 

« Encore était-il quelquefois moisi ou vermoulu. Figurez-vous la croûte du pain le plus cuit, qu'on aurait fait sécher de nouveau au four, au point d'avoir besoin d'être brisée et concassée. C'était pitié de voir nos pauvres vieillards, dépourvus de dents et dévorés par la faim, ronger, comme ils le pouvaient, avec des gencives amollies par le scorbut et toutes ensanglantées, cet insalubre et pénible aliment. »

Positio

 

Du pain, passons aux fèves :

 

« Les fèves étaient dans des caisses de sapin, que les rats, qui étaient à bord en aussi grand nombre que nous, perçaient et y faisaient leur demeure ; on mettait ces fèves dans la chaudière et sans les nettoyer et lorsqu'on nous donnait nos gamelles, il fallait ôter les crottes de rats qui surnageaient, avant d'en faire usage. »

Positio

 

Quant au poisson ainsi qu'à la viande :

 

« On nous donnait de la morue ou de la viande. Mais quelle viande et quelle morue ! De la viande à moitié cuite, en si petite quantité, et d'une si mauvaise qualité, qu'il fallait être aussi fortement aiguillonné par la faim que nous l'étions, pour oser nous y attaquer...

Car on affectait de former les portions des déportés d'os décharnés, et des parties de l'animal qui répugnent le plus au goût, telles que la rate, les mâchoires... Et quelle morue aussi ! De la morue presque point détrempée, retirée de la chaudière longtemps avant le repas, et par conséquent froide et dure, outre que le vinaigre dans lequel elle baignait achevait de la rendre coriace, en resserrant ses chairs chanvreuses et que la très petite quantité d'huile qu'on répandait dessus, seulement pour la forme et par simagrée, n'était pas capable de la ramollir. »

Positio

 

À propos de la soupe :

 

« Je ne puis m'empêcher de dire  ici que sur le Bonhomme-Richard, on a  donné la soupe, dans les mêmes baquets qui avaient servi pour la nuit, sans les avoir lavés auparavant. »

Positio

 

Un autre rescapé nous révèle que, sur les Deux-Associés,  :

 

« ...les matelots qui se trouvaient à la hune arrosaient de temps en temps de leur urine l'assemblée des déportés et leurs baquets de nourriture, en accompagnant cette aspersion de chants et de propos aussi odieux que l'action même.

Positio

 

La boisson :

 

« Pour leur boisson. les prêtres disposaient d'une ration de vin journalière et, théoriquement, d'eau douce à volonté. En réalité, cette eau stagnante était souvent infecte”. Pour nous désaltérer, nous n'avions presque toujours qu'une eau de cale, corrompue et remplie de vers, presque noire comme l'encre, qui exhalait une odeur insupportable, et laissait dans la bouche un goût de pourriture que rien ne pouvait détruire.

Quant au vin, il était ordinairement bon, quoiqu'un peu épais chacun avait sa demi-bouteille par jour. »

Positio

 

« Comme le vin qu'on charge sur les vaisseaux doit être de bonne qualité, celui qu'on servit aux déportés se trouva excellent, et c'est à la bonté de ce vin qu'on doit la conservation du petit nombre de ceux qui survécurent à cette épreuve. »

Nicolas Jean Thibiat

 

Après ces témoignages que j'ai abrégés, ne nous étonnons donc plus du nombre de morts que devaient enterrer les déportés : 545 morts sur 829, soit 65,74 %, soit les deux tiers, dont Jean-François Jenot, le 14 octobre 1794. Mais cette mortalité réjouissait les équipages :

 

« Aussitôt qu'un de nos confrères mourait sur les hôpitaux, on hissait au haut des mâts un pavillon tricolore, pour annoncer à l'équipage des Deux-Associés cette nouvelle. À l'instant, des cris de "Vive la République ! Vive la sainte Montagne !" se répétaient dans tout le bâtiment ; on faisait voler les chapeaux, en s'écriant : "Voilà encore un scélérat de moins ; quand donc verra-t-on périr le dernier ? »

 

Responsabilité de la déportation

 

En matière de conclusion, il nous faut trouver les responsables, directs ou indirects, de ce génocide et déterminer la faisabilité de la déportation des prêtres à la Guyane française.

Assistons à la séance du Comité de législation, qui propose, ce jour-là – nous sommes le 24 juillet 1793 – le mode d'exécution du décret qui ordonne la déportation des prêtres à la Guyane française et suivons une partie des débats :

 

« -Danton – Il ne faut pas nous venger du poison que nous avons reçu du Nouveau Monde en lui envoyant un poison non moins mortel. Je demande que les prêtres réfractaires soient jetés sur les plages d’Italie, c'est la patrie du fanatisme.

... 

-Cambon  –  Je m'oppose à  cette mesure ;  nous avons déjà l'expérience des  inconvénients

qu'elle entraîne, ce sont les prêtres déportés chez nos voisins, qui, réunis à Jersey et à Guernesey, sont venus fanatiser la Vendée et former l'armée des rebelles ;

-Robespierre – Il est permis de s'étonner qu'on ait choisi les circonstances où nous nous trouvons pour agiter une question si délicate. La Convention nationale a rendu un décret sage pour éloigner du sol français la peste contagieuse des prêtres fanatiques, et c'est aujourd'hui qu'on nous propose de la rapprocher de nous. On oublie donc que s'ils restent en France ils seront toujours un point de ralliement pour les conspirateurs, et qu'une sédition contre-révolutionnaire pourrait à tout moment les délivrer et lâcher au milieu de nous ces bêtes féroces. On oublie donc que, du seuil de leur prison, ils pourraient encore empoisonner le peuple par leurs écrits sacrilèges. On oppose au décret qui les éloigne de nous la difficulté du transport. Je ne connais point cette difficulté, mais il faut qu'elle soit bien démontrée, pour l'emporter sur ces considérations imposantes. Je demande l'exécution  de ce décret.

Thuriot – Tous les partis qu'on vous propose offrent des inconvénients. Si vous enfermez les prêtres réfractaires, des conspirateurs peuvent les délivrer et leur mettre à la main le flambeau du fanatisme. Si vous les déportez à la Guyane, vos vaisseaux courent le danger d'être pris par les ennemis. Si vous les envoyez en France, c'est là que redoublera leur fureur, et qu'ils calculeront les moyens de perdre la République. Voilà le résumé de vos discussions. Je demande le renvoi de toutes les propositions au Comité, pour y être mûries. »

 

Le renvoi est ensuite décrété.

 

La Faisabilité de la Déportation à la Guyane

 

Le Comité de législation, cela ne fait aucun doute, porte donc la responsabilité de cette déportation. Avant de rechercher d'autres responsables, intéressons-nous à sa faisabilité qui dépend de plusieurs paramètres :

 

Ø la subsistance à la Guyane ;

Ø le temps nécessaire aux campagnes ;

Ø le coût de l'opération ;

Ø le ravitaillement.

 

La subsistance à la Guyane

 

La Guyane française qui compte 18000 habitants, dont 1000 à 1500 blancs subvient à peine à ses besoins. En outre, lorsque Louis XVI envoya des Français dans cette colonie, 12 000 de ces malheureux succombèrent aux conditions climatiques. La décision de déporter 50 000 à 60 000 prêtres en Guyane équivaut à un génocide.

Le temps nécessaire aux campagnes

 

Un navire négrier ne transporte que 400 détenus. Retenons 50 000 et non 60 000 prêtres à déporter ; divisons 50 000 par 400 et nous obtenons un quotient de 125 campagnes à effectuer. Une campagne dure 8 mois dans le meilleur des cas. Si nous disposons d'un seul navire, il nous faut un délai de 23 ans et 4 mois ;  de  10 navires – chose impossible -, soit  15  départs par an, 8 ans et 4 mois ; de  20 navires, soit 30 départs, 4 ans et 2 mois. À l'époque nous disposions, tout au plus, de 5 navires armés en négrier. Il aurait fallu ainsi 16 ans et 8 mois pour mener à bien la déportation.

 

Le coût de l'opération

 

Les experts du Ministère de la Marine établissent une prévision de dépenses, par déporté, après le débarquement :

Ø rations alimentaires, pendant 6 mois ..........................…2 346 livres

Ø habillement, durant 2 ans ............................................… 254  livres

Ø ameublement, ustensile de cuisine et outils aratoires...........123  livres

Ø soit un total de .........................................................…2 723 livres

 

En multipliant ce total par le nombre de déportés, nous arrivons à un coût de 136 150 000 livres. Comme les experts n'incluent nullement le coût des campagnes, dans leurs prévisions, il nous faut ajouter à cette somme :

 

Ø 4 mois de ravitaillement pour la traversée des déportés ;

Ø 8 mois de ravitaillement pour la durée de la campagne ;

Ø les frais de personnel ;

Ø les frais d'entretien du matériel ;

Ø l'amortissement de ce matériel.

 

Le budget d'une nation en guerre ne pouvait pas absorber une dépense qui s’élevait à plus de 200 000 000 livres...

 

Le ravitaillement

 

Une lettre que le Directeur des Vivres adresse au Ministère de la Marine nous fait découvrir que le ravitaillement d'un seul navire, soit 400 déportés, soulevait bien des difficultés... Quoiqu'en dise monsieur Maximilien de Robespierre, le 24 juillet 1793, ces campagnes de déportation étaient impossibles à réaliser. Ces chiffres que je vous ai donnés étaient connus puisque je les relève dans les débats des différents Comités de l'Assemblée Nationale. Malgré cela, le 06 pluviôse de l'an II (25 janvier 1794), le Comité de Salut Public publie son arrêté de déportation des prêtres réfractaires. C'est l'époque, ne l'oublions pas, du Grand Comité et de l'apogée de Robespierre.

 

Les Autres Responsables…

 

Le Conseil exécutif (Conseil des ministres), entièrement subordonné aux directives du Comité, ne fait qu'appliquer les décisions de celui-ci. La responsabilité de la déportation des prêtres sur les pontons de Rochefort incombe donc à Robespierre, ce tyran. Les Jacobins ont ainsi interné les prêtres, au  nom de la liberté, et les ont fait souffrir et mourir, au nom de la fraternité. Comme  toute sanction implique qu'à l'origine existe une infraction, il s'agit, dans le cas qui nous intéresse, de l'insoumission d'une partie de notre clergé à la Constitution Civile du Clergé. La responsabilité de l'insoumission incombe donc à la hiérarchie de l'Église de France qui, d'emblée, refuse le fameux décret.

Avant de rejoindre Rome, passons par l'Autriche où Marie-Thérèse et Joseph II, respectivement mère et frère de Marie-Antoinette, reine de France, appliquent une politique religieuse, inspirée du gallicanisme : le joséphisme. Les souverains autrichiens réforment leur Église en supprimant tous les ordres contemplatifs ainsi qu'en soumettant toutes les publications pontificales au placet impérial. En 1782, Pie VI, mécontent de cette réforme, se rend à Vienne et tente, en vain, de ramener Joseph II à la raison. L'année suivante, l'empereur rencontre le Souverain Pontife à Rome. Nouveaux entretiens... nouveaux désaccords...

Huit ans plus tard, les mêmes causes produisent des effets... différents. En acceptant tacitement la réforme de l'Église autrichienne, entreprise par des souverains, mais en fulminant ses deux bulles contre la Constitution Civile du Clergé, réforme entreprise par une Assemblée nationale, le Souverain Pontife ne condamne pas la politique religieuse de la Nation, mais bel et bien les idées nouvelles. Alors, que Rome reconnaisse enfin son erreur et qu'Elle admette sa responsabilité dans l'insoumission d'une partie du clergé de France.

Après Robespierre, après Rome, la Convention thermidorienne porte une très lourde responsabilité dans la mort des prêtres déportés. Pour tous les historiens, la Terreur prend fin après les journées des 9 et 10 thermidor de l'an II, soit les 27 et 28 juillet 1794, qui voient la chute de Robespierre et de ses compagnons. Prennent part à cette conjuration les représentants en mission rappelés à Paris par le patron des Jacobins. Comme ils craignaient pour leur vie, ils décident de se débarrasser du tyran, et je vous livre, leur nom et leurs hauts faits d'armes :

 

Ø Barras instaure la Terreur dans le Sud-est ;

Ø Carrier organise les noyades collectives à Nantes ;

Ø Fouché organise la Terreur à Lyon ;

Ø Fréron réprime avec férocité la contre-révolution dans le Sud-est de  la France ;

Ø Tallien organise la Terreur à Bordeaux.

 

Pourquoi ces Terroristes qui prennent, à présent, le pouvoir ne libèrent-ils pas les prêtres déportés ? Sur les 545 prêtres décédés sur les pontons de Rochefort, 380 meurent après Thermidor, soit 69,72 %, en gros 70 % : plus des deux tiers.

En clair, nous pouvons affirmer que la responsabilité de la guillotine sèche incombe à monsieur Maximilien de Robespierre, aux Jacobins ainsi qu'aux Terroristes de la Convention thermidorienne. Quant à l'Église, n’aurait-elle pas dû rendre à César ce qui n’appartenait pas à Dieu mais bien à César ?

 

Itinéraire de la chaîne

 

Durée du trajet : 30 jours

Nombre de kilomètres parcourus : 708

Nombres d’étapes : 27

 

 

 

Du Départ à la deuxième Étape

 

 

De la 3ème à la 7ème étape

 

 

De la 8ème à la 11ème étape

 

 

De la 12ème à la 15ème étape

 

 

De la 16ème à la 19ème étape

 

 

De la 20ème à la 21ème étape

 

 

De la 22ème à la 25ème étape

 

 

De la 26ème étape à l'arrivée

 

 

Les Pontons et le Charnier

 

 

DÉPORTES PAR DÉPARTEMENTS

 

Département d’Origine                       Nombre de Déportés

 

Ailier                                                               76

Aube                                                                  3

Calvados                                                           3

Charente                                                         23

Charente Inférieure                                        13

Cher                                                                  9

Côtes-du-Nord                                                25

Creuse                                                             20

Dordogne                                                        62

Doubs                                                               6

Eure-et-Loir                                                     9

Finistère                                                         30

Haute-Marne                                                   3

Haute-Vienne                                                 90

Ille-ct-Vilaine                                                   2

Indre-et-Loire                                                  2

Lozère                                                              1

Manche                                                            2

Marne                                                              3

Meurthe                                                         46

Meuse                                                           120

Mont-Blanc                                                      7

Morbihan                                                       18

Moselle                                                           48

Nièvre                                                               I

Orne                                                                 8

Saône-et-Loire                                               37

Sarthe                                                              3

Seine-et-Marne                                                1

Seine Inférieure                                             80

Somme                                                           10

Vienne                                                            37

Vosges                                                            16

Yonne                                                             15

 

TOTAL                                                        829

 

dont 230 de la Région lorraine soit 27,75 %

dont 545 décès soit 65,74 %

 

DÉCÈS par MOIS

Mois                                                    Nombre

 

1793/12                                                  2

1794/00                                                  1

1794/01                                                  1

1794/03                                                  1

1794/04                                                12

1794/05                                                15

1794/06                                                34

1794/07                                                99

1794/08                                              159

1794/09                                              116

1794/10                                                63

1794/11                                                14

1794/12                                                  4

1795/01                                                  9

1795/02                                                10

1795/03                                                  4

1795/11                                                  1

 

TOTAL                                              545

dont 380 décès après Thermidor (chute de Robespierre), soit 69,72 %

 

 

LIEU de DÉTENTION

 

Navire                                       Nombre de déportés

 

Bonhomme Richard                           26

Cigogne                                                1

Deux Associés                                  499

Lieu inconnu                                      16

Mort avant Embarquement               14

Mort en Route                                      1

Sphinx                                                   1

Washington                                      271

 

TOTAL                                            829

 

DÉPORTÉS MOSELLANS

Nom/Prénom                                                    Date décès

 

ALIGRE-BLANVILLE (d’) Charles

ALIGRE-BOINVILLE (d’) François Gervais                     1794/10/23

BAUDOIN Pierre (jésuite)                                                  179410/10

BEKER Jean-Baptiste

BRANDEL Philippe  (bernardin)                                         1794/07/09

CHAUFFEURT Pierre Benoît

CRITRISTIANI Jean Adam                                                 1794/09/12

CLEMENT F. Marcel

COLLIN Jean-Baptiste                                                        1794/09/05

CONOLLY Jacques (récollet)                                              1794/08/04

CORDIER Nicolas (dom Hugues chartreux)

CUNY (de) Jean-Baptiste                                                     1794/10/00

DUDOT Henri Nicolas

DUFRESNOY-LETHUEUR Charles François

DUJONQUOI Michel Joseph (trappiste)                             1794/08/24

ERLINCIER Michel (frère Elie ermite)                               1794/07/03

ETRINGER Jean Etienne                                                     1795/02/01

FRITCHE Nicolas Augustin                                                  1794/08/30

GAUTIER de VAUX Pierre Thomas                                     1794/10/00

GENETTE Mathias                                                                1794/06/08

GEORGES Jean-Baptiste                                                      1794/06/08

HENRJON Joseph (trinitaire)

HENRY Jean-Pierre                                                              1794/08/16

HILGERT François

JEAN François                                                                        1794/08/05

JENOT Jean-François                                                            1794/10/14

JOLI Joseph Louis

KLECK Pierre                                                                        1794/10/05

LAMARLE Louis                                                                   1794/10/11

LARBEPINET Edme (frère Simon, carme)

LONGUEIL (de) Claude Joseph Anet                                   1794/09/06

MAMIEL DE MAREUILLE Georges Claude                      1794/1109

MARIEN DE FREMERY Charles Gabriel                            1794/10/12

MATHIEU Nicolas

MEFFET François                                                                   1794/07/30

MICHEL Jean                                                                         1794/09/21

NEOPHIT Josse

NICOLAS Jean-Baptiste

PARISOT Nicolas (lazariste)                                                   1794/10/14

PICARD Jean                                                                          1794/11/27

PIGEOT Pierre-Jean

SCHLEXER Jean Antoine                                                      1794/10/18

SHECK Christophe (FEC)                                                      1794/09/06

THIBIAT Nicolas

TENOT Daniel Henri                                                              1794/09/19

TISSOT Claude François                                                        1794/09/05

VAILLANT-PRESSANT François-Alexis

VILLEZ Nicolas Jean (cordelier)

 

TOTAL 48 dont 30 MORTS, soit 62.50%

 

Avant de reprendre l’ordre chronologique,quelques documents officiels que j’extrais  de la  Positio nous renseignent sur l’état d’esprit des Jacobins et sur la responsabilité de la Marine Nationale dans le génocide des pontons de Rochefort.

 

Lettre du procureur général syndic du Lot au procureur du district de Figeac, en date du 11 janvier 1793

 

Archives départementales du Lot, L. 112

 

On ne peut qu'applaudir aux mesures vigoureuses que votre adminis­tration a prises contre les prêtres (...) Armez-vous de toutes les sévérités que la loi met entre vos mains, pour purger la société de ces êtres turbulents et fanatiques. Si, comme je n'en doute pas, vous parvenez à les expulser tous du district, croyez que vous aurez bien mérité de la patrie. Mettez tout en usage pour faire déporter ces prê­tres. Faites-les saisir et arrêter partout où ils seront, mais ne les dénoncez pas aux tribunaux. Cette mesure n'est pas aussi active que la déportation, elle produit le double inconvénient de traîner en lon­gueur, en donnant de l'inquiétude au simple et au crédule, qui s'apitoie sur le sort des prêtres, au lieu que la déportation produit un effet bien différent, car vous savez que le public ne prend plus d'intérêt au sort de ceux qui souffrent loin de lui.

 

Gazette nationale ou Le Moniteur universel n. 47, 16 février 1793, p. 218

Convention nationale; séance du jeudi 14 février

 

Thuriot - Il faut ajouter à la loi sur les émigrés une disposition qui fasse sortir de France tous ceux qui s'y trouvent, et cette disposi­tion est facile ; c'est d'exciter la surveillance de tous les citoyens. Je demande que soit accordé une récompense de 100 livres à celui qui aura dénoncé un émigré ou un prêtre compris dans la loi de déportation, et qui les aura fait arrêter.

(...)

Cette proposition est décrétée.

 

Lettre des représentants de la Charente-Inférieure à la Convention nationale, datée du 18 octobre 1793

 

Archives nationales, C. 277

 

Nous venons enfin de briser en ce pays l'arbre empoisonné des préjugés religieux, qui, pendant tant de siècles, avait couvert les hommes de son ombre mortelle, et nous venons de faire un miracle. A Marennes, le peuple, en notre présence, oubliant les inepties, dont il a si longtemps été dupe, et le fanatisme qui le divisait en deux sectes, a juré de n'avoir plus d'autre religion que celle de la vérité. Les catholiques et les protestants, réunis en société populaire, un jour dans le temple des catholiques, le lendemain dans celui des protes­tants, se sont embrassés en frères ; ils ont anéanti le nom de Prêtre et celui de Ministre, ils y ont substitué le beau nom de prédicateur de morale et ils ont arrêté que le prédicateur des protestants irait fréquemment prêcher dans le temple des catholiques, et le prédicateur de morale des catholiques dans le temple des protestants. La résolution a été prise également de substituer, dans les deux temples, les Droits de l'homme et la Constitution républicaine, aux images et aux emblêmes ou sentences incompréhensibles ou ineptes, que l'un et l'autre de ces temples recélaient, et, quand les livres de la morale philosophique seront imprimés, ils seront gravés sur les murs.

(…)

Celui (le peuple) de Rochefort vient d'arrêter aujourd'hui que nous succéderions, dimanche, à l'église, au prêtre mensonger, qui, si longtemps, y a débité ses hypocrites impostures.

(…)

Il (le peuple) a rejeté lui-même le bandeau qui l'aveuglait et, dans tous ces lieux, il s'est installé en société populaire, dans le temple, où il n'avait été rassemblé jusque là que pour apprendre à déraisonner et à croire à des absurdités, qui l'entretenaient dans l'asservissement et la misère.

(…)

Adieu, nous sommes républicains; comptez sur nous.

Laignelot, Lequinio.

 

Lettre de Laignelot et Lequinio, datée du 25 brumaire an II (15 novembre 1793) à la Convention nationale

 

Archives nationales, C. 283

 

Nous profitons, citoyens, d'un courrier extraordinaire, que nous envoyons au Comité de Salut public, pour vous faire passer un ballot de lettres de prêtres, qui ont été déposées à la municipalité. Ces lettres sont au nombre de trente-deux ; nous envoyons aussi par le même courrier une marmite à bons dieux, qui nous a été remise par le citoyen G..., dont nous joignons ici la lettre qu'il nous a écrite.

Dans cette lettre du 24 brumaire, G..., président du tribunal de Rochefort, exprime aux représentants l'admiration que lui causent les miracles journaliers opérés par eux :

 

« Et moi aussi, citoyens repré­sentants, je crois aux prodiges que vous faites, je participe de tout mon cœur au dévouement des bons citoyens pour vous donner un léger témoignage, mais sincère. Je vous prie de recevoir favorablement l'of­frande d'un calice que mes auteurs m'ont laissé. »

 

Hier, une députation de l'ile d'Aix vint nous prévenir qu'elle venait de charger, pour vous, à la messagerie, un ballot renfermant toutes les boîtes à bons dieux de cette ile, les étuis à graisse, en un mot les gobelets et les gibecières de leurs défunts charlatans reli­gieux. Toutes les municipalités des environs nous ont demandé où dépo­ser les leurs ; nous avons indiqué la monnaie de La Rochelle, parce que nous ferons joindre ces niaiseries à toutes les autres matières d'or et d'argent qui y sont déjà déposées, et que nous allons vous faire expédier sous peu.

 

 

Arrêté du 6 pluviôse an II (25 janvier 1794) du Comité de Salut Public

 

Les ecclésiastiques sujets à la déportation seront conduits de brigade en brigade par la gendarmerie nationale dans les ports de Bor­deaux et de Rochefort, en calculant les distances du lieu de départ à celui de l'un de ces ports pour les envoyer au plus voisin. Ils seront enfermés, à leur arrivée, dans une maison d'arrêt que le ministre de la marine est autorisé à faire préparer pour les recevoir.

Le ministre de la marine fera affréter des bâtiments de commerce pour les conduire à leur destination, conformément au décret du 30 vendémiaire, ils seront embarqués au fur et à mesure que les bâtiments pourront les recevoir.

Le ministre, indépendamment des vivres nécessaires à la traversée, est autorisé à faire embarquer des subsistances, farines et légumes secs pour la consommation de six mois de chaque individu déporté ; ces subsistances leur seront laissées sur la côte d'Afrique, lors de leur débarquement.

Il sera également embarqué avec eux les instruments aratoires, grains, semences et autres objets qui peuvent être d'une utilité future à leur subsistance.

 

Lettre du directeur des vivres au ministre de la marine

 

Archives du Service historique de la 'farine, Rochefort, 1 E. 489, p. 162. 2 germinal an II (22 mars 1794)

 

(...) Il a été décidé hier au soir, par les représentants du peu­ple, qu'il serait pourvu, pour les 400 déportés qui doivent embarquer dans ce port, à quatre mois de traversée, six mois en farine et légumes pour leur subsistance à leur débarquement dans la colonie, et pour douze mois de campagne à l'équipage du bâtiment qui doit les transporter (...).

 

Lettre du Commandant des armes au ministre de la marine

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 1 A. 123, p. 1. Rochefort, 4 germinal an II (24 mars 1794)

 

(...) J'ai donné le commandement du navire Les Deux-Associés, destiné à déporter les ecclésiastiques, au citoyen Laly, qui commandait ci-devant une chaloupe canonnière. Cet officier, bon marin et d'un physique vigoureux, sera plus fait à en imposer à ces prêtres que ne l'aurait été le citoyen Daniel Aubry, qui le commandait ci-devant, et, pour dédommager ce dernier, qui est un homme âgé, je lui ai donné le commandement de la canonnière que Laly commandait (...).

 

Lettre des représentants du peuple à Rochefort au Comité de Salut public

 

Archives nationales, A.F. II 172

 

Rochefort, 11 germinal an II (31 mars 1794)

 

Les prêtres condamnés à la déportation, Citoyens collègues, arri­vent ici en foule. Nous voyons avec regret que leur transport à Madagas­car sera très dispendieux, tant en subsistances qu'en approvisionne­ments, et que ces scélérats ne méritent pas tous les soins que la Con­vention nationale se donne, pour assurer leur arrivée dans ce lieu si fertile et si à proximité des possessions européennes. Nous croyons donc qu'il serait plus convenable, pour les circonscrire dans leur état primitif, de les jeter sur les côtes de Barbarie, entre le cap Boudjurorum et le cap Blanc, pour faire pénitence, parmi les Maures, des crimes qu'ils ont commis envers le genre humain. Si vous approuvez cette mesure, Citoyens collègues, invitez la Convention nationale à rapporter la partie du décret qui les envoie à Madagascar, et à ordonner qu'ils soient déportés au lieu que nous vous indiquons, comme étant le plus propre à leur ôter tout espoir de reparaître sur la terre de la liberté. Cette mesure aura aussi le mérite de cacher à nos ennemis les parages par lesquels cette expédition doit passer. Telles sont les observations que nous avons cru devoir soumettre à votre jugement.

Salut et fraternité.

 

Guezno; J.-N. Topsent.

 

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 1 A. 123, p. 6. Rochefort, 21 germinal an II (10 avril 1794)

 

Lorsque j'ai appris que votre intention était d'exporter les ecclé­siastiques à Madagascar, j'observai à vos collègues, qui sont ici, combien il me paraissait impolitique de transporter dans cet endroit des prêtres ou autres sujets à cette peine. Je leur ajoutai que cette île était la mère nourricière de l'île de France et de Bourbon, qu'une communication et commerce, non interrompus depuis près d'un siècle nous avait lié avec une grande partie de ces peuples, au point que nous pouvions sans risque parcourir leur territoire et y faire des achats de vivres et autres objets utiles à la consommation de nos îles, qu'il y avait lieu de craindre que l'arrivée de ces déportés ne changeasse l'esprit public de ces peuples, et, en les rendant nos ennemis, nous privât des ressources essentielles que nous y avons.

L'amour que j'ai pour ma patrie est le seul motif, Citoyens repré­sentants, qui me porte à vous faire ces observations ; j'espère qu'à ce titre vous voudrez bien les accueillir favorablement. J'ai vu d'ail­leurs avec plaisir que les citoyens Quezno et Topsent vous avaient écrit à ce sujet, et qu'ils vous proposaient pour la déportation de ces prêtres la partie de terre comprise entre le cap Bogador et le cap Blanc. Cet endroit, qui est moins éloigné que l’île de Madagascar, en remplissant votre but, n'offre pas, il me semble, les mêmes inconvé­nients.

 

Chevillard.

 

Compte-rendu d'une fouille effectuée sur les déportés le 12 avril 1794

 

Archives départementales de la Charente-Maritime, L. 371 f. 29 r.-32 r

 

Rochefort, 23 germinal an II (12 avril 1794). Conseil du district de Rochefort

 

Le même jour (23 germinal), s'est présenté le citoyen Lebas, subs­titut de l'accusateur public du tribunal révolutionnaire de Rochefort, lequel a dit : qu'en conformité de la loi du 22 ventôse dernier, qui prononce la confiscation des biens des déportés, il aurait invité la municipalité de faire visiter les ci-devant prêtres qui sont arrivés ici, pour être transportés sur les côtes d'Afrique, aux fins de vérifier si ces individus n'emportent pas avec eux du mobilier comme or, argent et assignats, et autres objets qui appartiennent à la nation. La munici­palité ayant fait procéder à la dite visite, avec la plus grande exacti­tude, il en est résulté qu'on les a trouvés nantis de diverses sommes, tant en or, argent qu'assignats, montant au total de trente mille quatre cent six livres quatre sous 9 deniers. (...)

Lesquels effets or, argent et assignats appartenant, savoir à : etc…

 

Copie du livre de jury de la flute les Deux-Associés

 

Archives départementales de la Charente-Maritime, L. 386 (papier isolé)

 

A bord des Deux-Associés, 14 floréal an II (3 mai 1794)

 

Aujourd'hui, 14 floréal an II de la République une et indivisible, le jury ayant été convoqué de s'assembler à 9 h. i par le citoyen Petit, lieutenant en pied et président du dit jury. D'après un rapport à lui fait sur les 9 heures du soir, hier 13 du courant, par le citoyen Pierre Leroux, qui a dit qu'étant à souper, le nommé Barreau, contremaître de la cale, lui avait rapporté que le citoyen Barthélemy Robert et Jacques Roca lui avaient dénoncé qu'étant vers les cinq heures du soir occupés à fendre du bois, ils avaient entendu deux déportés qui se faisaient des questions, dont un disait que : si nous n'étions que cent hommes ils auraient bien raison d'eux! et les dénonciateurs nous ayant déclaré et persisté dans leur dénonciation sincère et véritable, après les avoir interrogés, en présence du nommé Roulhac, qu'il avait reconnu et mené par devant le jury, qui l'a interpellé de nommer son confrère avec qui il tenait cette conversation, a déclaré ne pas se rappeler d'avoir tenu pareil propos, non plus que de celui avec lequel on l'accu­sait d'avoir tenu ce discours. J'observe que cet homme a fait beaucoup de gémissements au moment qu'il a été amené par devant le jury, et que d'après l'attestation des dénonciateurs, par la foi du serment, le jury aurait passé à la majorité et condamné le nommé Antoine Roulhac, antérieurement condamné par les tribunaux à la déportation, à subir, suivant l'article quatre de la Majorité de la marine, visé par les représentants du peuple en séance à Rochefort, et signé Topsent, Quezno, Léchelle, qui porte que, si l'on s'aperçoit de quelques complots parmi les déportés, ils seront fusillés sur l'heure, et d'après ce dit arti­cle, et l'exécution que nous devons apporter à la loi, condamnons le dit Antoine Roulhac à être fusillé sur le gaillard d'avant, en présence de tous les passagers, sur les vingt-quatre heures. Arrêté et clos les jours, mois et an que dessus et avons signé:

Petit, lieutenant et président; Villecollet, enseigne de vaisseau, secrétaire; Leroux, maitre; Sanallet, soldat; Cravouil; Liret, sergent.

Les citoyens Arondel et Vanier ont déclaré ne savoir signer et ont apposé leur zéro 0,0.

Le citoyen Laly, capitaine du dit navire, nous a déclaré que d'après l'interrogation par lui faite à Antoine Roulhac, en présence du jury, à la peine qui lui est infligée, dont il l'avait jugé ainsi, et a signé ainsi (sic).

 

Laly, capitaine.

 

Extrait du registre des ordres du Commandant des armes du port de Rochefort

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 1A.185, p. 185. Rochefort, 27 floréal an II (16 mai 1794)

 

Il est ordonné au citoyen Gibert, enseigne de vaisseau entretenu, de prendre le commandement du navire particulier le Washington destiné au déportement des prêtres. Il mettra la plus grande célérité à mettre son vaisseau en état d'aller en rade pour y recevoir les prêtres qui arrivent journellement et il pressera son armement de manière à partir aussitôt que le chargement sera complet.

 

Lettre du Commandant des armes au Ministre de la marine

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort

 

Rochefort, 17 messidor an II (5 juillet 1794)

 

On apprit hier au soir que 17 forçats s'étaient déférés dans la salle des convalescents, ils avaient projeté d'égorger les sentinelles, on a été assez heureux d'en être instruit assez à temps pour parer le coup. Ils ont été mis à la double chaîne. Nous ne parviendrons jamais à les réduire si on ne guillotine pas les déserteurs. Ils sont inso­lents, insubordonnés et ne font pas le quart de l'ouvrage qu'ils fai­saient auparavant. J'observe à la Commission que la majeure partie de ces malheureux sont tous des scélérats, des contre-révolutionnaires, des ci-devant de la noblesse et du clergé, qu'en conséquence nous avons tout à craindre d'eux, et que je ne les vois pas avec tranquillité dans l'enceinte du port. Les forçats, que nous avions avant ceux-ci, n'étaient la plupart que des malheureuses victimes du despotisme, le seul désir d'acquérir la liberté les occupait en entier, aujourd'hui ce n'est pas la même chose, il n'y en a pas un qui ne profitât de cette liberté pour faire le plus de mal possible. Je crois, citoyens, qu'il est de mon devoir de mettre sous vos yeux les dangers que nous avons à craindre de ces scélérats, si le Comité de Salut public ne se décide pas à sévir rigoureusement contre eux. Une chose vraie est que l'arrêté pris par les représentants Lequinio et Laignelot les tenait en respect et qu'ils étaient dociles et laborieux.

 

Chevillard

 

Lettre du citoyen Béraud au Conseil de santé

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 3 F. 7, B. 1, p. 22

 

Citoyens,

 

Je vous envoie, conformément aux ordres, les doubles des procès verbaux des bâtiments, dont les équipages ont été soumis à la visite. Vous verrez que tous jouissent d'une santé parfaite, et que l'air le plus pur régnait à leur bord. Il n'en est pas de même du bâtiment les Deux-Associés.

Je me permettrai quelques réflexions.

L'épidémie d'une maladie putride compliquée avec scorbut règne par­mi les déportés. Leurs hôpitaux ne peuvent suffire à les recevoir, malgré qu'il en meurt deux et trois par jour. Loin de m'apitoyer sur leur sort, je vous dirai que c'est plus la santé des équipages qui fixe mon attention, doutant beaucoup que dans cette saison, l'on puisse détruire ou corriger la tendance des fluides à la putréfaction, dans un bâtiment où l'on ne peut éviter la contagion de l'air qui y règne, malgré les efforts continuels du renouvellement. L'équipage s'en plaint, ainsi que l'état major, qui redoute, disent-ils, les effets cruels de cette maladie. Je leur ai promis que j'en informerais le Comité.

 

Béraud

 

Lettre du Commandant des armes et l'Agent maritime au dis­trict de Marennes

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort


Rochefort, 13 thermidor an II (31 juillet 1794)

 

Une maladie épidémique s'étant manifestée, avec des caractères assez alarmants, à bord du navire les Deux-Associés, parmi les prêtres condamnés à la déportation, qui sont embarqués sur ce bâtiment, il a été jugé nécessaire par les officiers de marine et de santé envoyés pour en prendre connaissance, d'établir, à terre, un hôpital sous tente pour pouvoir y traiter les malades, et tâcher d'arrêter le plus prompte­ment possible les effets de cette maladie. La commission a jugé que l'endroit le plus commode, et qui présentait le plus de sûreté pour la non communication de ces individus et la facilité de leur garde, était de les déposer sur file Citoyenne. Comme ce domaine appartient à la République et dépend de votre arrondissement, nous nous empressons de vous faire part de cette dédommager le fermier du préjudice qui pourra lui être fait, et ne laisserons subsis­ter cet espèce d'hôpital que le temps nécessaire pour faire cesser toute crainte sur les suites de cette épidémie.

 

Lettre du citoyen Béraud au Conseil de santé

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 3 F. 7, B. 1, p. 22

 

Citoyens,

 

Je vous envoie, conformément aux ordres, les doubles des procès verbaux des bâtiments, dont les équipages ont été soumis à la visite. Vous verrez que tous jouissent d'une santé parfaite, et que l'air le plus pur régnait à leur bord. Il n'en est pas de même du bâtiment les Deux-Associés.

Je me permettrai quelques réflexions.

L'épidémie d'une maladie putride compliquée avec scorbut règne par­mi les déportés. Leurs hôpitaux ne peuvent suffire à les recevoir, malgré qu'il en meurt deux et trois par jour. Loin de m'apitoyer sur leur sort, je vous dirai que c'est plus la santé des équipages qui fixe mon attention, doutant beaucoup que dans cette saison, l'on puisse détruire ou corriger la tendance des fluides à la putréfaction, dans un bâtiment où l'on ne peut éviter la contagion de l'air qui y règne, malgré les efforts continuels du renouvellement. L'équipage s'en plaint, ainsi que l'état major, qui redoute, disent-ils, les effets cruels de cette maladie. Je leur ai promis que j'en informerais le Comité.

 

Béraud

 

Lettre du Commandant des armes et l'Agent maritime au dis­trict de Marennes

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort


Rochefort, 13 thermidor an II (31 juillet 1794)

 

Une maladie épidémique s'étant manifestée, avec des caractères assez alarmants, à bord du navire les Deux-Associés, parmi les prêtres condamnés à la déportation, qui sont embarqués sur ce bâtiment, il a été jugé nécessaire par les officiers de marine et de santé envoyés pour en prendre connaissance, d'établir, à terre, un hôpital sous tente pour pouvoir y traiter les malades, et tâcher d'arrêter le plus prompte­ment possible les effets de cette maladie. La commission a jugé que l'endroit le plus commode, et qui présentait le plus de sûreté pour la non communication de ces individus et la facilité de leur garde, était de les déposer sur file Citoyenne. Comme ce domaine appartient à la République et dépend de votre arrondissement, nous nous empressons de vous faire part de cette dédommager le fermier du préjudice qui pourra lui être fait, et ne laisserons subsis­ter cet espèce d'hôpital que le temps nécessaire pour faire cesser toute crainte sur les suites de cette épidémie.

 

Lettre du citoyen Béraud, officier de santé, de la Commis­sion provisoire, au Comité de salubrité navale de Rochefort

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 3 F./B.1, p. 11. En rade de l'île d'Aix, 7 Fructidor an II (24 août 1794)

 

(...) Une seule fois je me transportais sur l'île Citoyenne, pour accélérer la lenteur de chaque individu, et tout à la fois faire entrer 70 déportés des plus malades. Depuis j'ai su qu'on en avait envoyé de rade près d'une vingtaine, ensemble 90.

Le chirurgien du Washington y descendit aussi avec des médicaments nécessaires. Le bâtiment les Deux-Associés est entièrement vide depuis deux jours. La translation s'est faite très promptement.

P.-S. Je viens d'apprendre par l'officier du bord, qui était sur l'île Citoyenne, que le nombre des déportés malades se montait à 160, qu'il y avait pour infirmiers vingt de ces mêmes bien portants et que le nommé Sorin, chirurgien, ci-devant des Deux-Associés, y était ; que la mortalité, depuis qu'ils y étaient, remontait à 23. A la vérité, ils ne sont pas tous à terre, 50 sont à bord des barques, qui, à mesure qu'il en meurt, en envoient à terre. Il paraitrait qu'il faudrait encore quelques cadres.

 

Lettre du Comité de salubrité navale à l'agent maritime et au Commandant des armes

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 3 F. 7A. 1, p. 6. Rochefort, 11 fructidor an II (28 août 1794)

 

Citoyen,

Nous devons te faire connaître l'état des déportés et des équipages des bâtiments destinés à leur transport. De 497 déportés à bord des Deux-Associés, 245 sont morts et 144 sont malades, et de 110 hommes 3 sont morts et 35 malades. A bord du Washington, où sont 265 déportés, 20 seulement sont morts, 36 sont malades, et de 120 hommes d'équipage un seul est mort et 27 sont malades. D'après le rapport qui a été fait au comité par le citoyen Vivès, quoique les dispositions du premier bâtiment lui aient paru favoriser la plus grande mortalité qui a suivi l'épidémie, on ne peut douter que l'extrême sévérité de l'état-major de ce bâtiment, envers ces déportés, n'ait ajouté à l'intensité de leur maladie, qui s'était communiquée à l'équipage et lui a enlevé quelques républicains. Le comité ne doute pas que tu ne pèses, dans ta sagesse, les moyens à employer pour prévenir une rigueur que la loi réprouve et dont les effets sont aussi pernicieux.

 

Signé: Cochon, Poché, Bobe-Moreau.

 

Lettre du maire de Rochefort au citoyen Dugravier

 

Papier de famille. Original non retrouvé. D'après la transcription donnée par Lemonnier dans La Déportation ecclésiastique (pp. 136-137)

 

Rochefort, le 15 fructidor an II (1 septembre 1791)

 

J'ai reçu ta lettre, en date du 22 du mois dernier, citoyen, par laquelle tu me demandes un certificat, qui constate le départ de notre port de Baptiste Dugravier, ton fils, condamné à la déportation.

Je ne pouvais te procurer ce certificat qu'en m'adressant au chef civil de la marine, aussi ai-je communiqué ta lettre au citoyen Nermaud, duquel tu me parles, qui m'a répondu que le 29 messidor, il t'envoya un certificat constatant que Jean Dugravier, prêtre était en rade de l'île d'Aix, sur le navire les Deux-Associés, que peu de jours après, il reçut une seconde lettre de toi, à laquelle il répondit que ton fils était mort le 23 messidor (11 juillet). Ce décès, sans doute, a mis fin à tes réclamations, et tu n'ignores pas, qu'étant condamné à la déportation, il était déjà mort civilement, et qu'alors on n'a pas constaté son décès.

 

Salut et fraternité.

 

Texier, maire.

 

Lettre de la Commission de santé au Conseil de santé

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 3 F. 7 8.1, p. 27

 

En rade de l'île d'Aix, 14 vendémiaire an III (5 octobre 1794)

 

Je ne m'étendrai pas sur les détails de l'Ile Citoyenne, Vivès vous aura précisé les choses avec bien plus de moyens que je ne le pourrais faire, et sur le physique et sur le moral de ces individus, qui tous meurent de froid à ce qu'ils m'ont dit, et ce que je crois facilement. Je me suis cependant occupé à faire partir pour le navire l'Indien treize déportés parfaitement guéris, avec recommandation au citoyen Sorin d'impartialité sur ces individus, qui une fois mieux devraient faire place aux autres du Washington. Il parait que sur ce bâtiment les malades augmentent, hier il en fut douze à l'hôpital, et il en est mort, de ce bâtiment seulement, sept depuis le 10 du dit.

 

Heureux par l'égalité !

 

Béraud

 

Lettre du Conseil de santé au citoyen Niou, représentant du peuple

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 3F. 7A. 1, p. 16 Rochefort, 30 vendémiaire an III (21 octobre 1794)

 

L'hôpital établi sur file Citoyenne pour les condamnés à la dépor­tation va être levé. Le vent a renversé toutes les tentes, et la saison ne permet pas de tenir cet établissement plus longtemps. Sur l'avis du Comité, l'ordre est donné d'évacuer les malades sur le bâtiment l'Indien échoué au Port-des-Barques ; les convalescents seront mis à bord des Deux-Associés, et ceux qui se portent bien sur le Washington.

Le total n'est plus que de 280, dont 114 malades.

 

Lettre de l’Agent national à l’agent maritime de Rochefort

 

Archives départementales de la Charente-Maritime, L. 382, pp. 97-98

Rochefort, 13 frimaire an III (3 décembre 1794)

 

Plusieurs réclamations me sont faites, citoyen, de la part des parents et amis des prêtres condamnés à la déportation, qui avaient été déposés dans la rade de ce port, soit pour avoir l'extrait mortuaire de ceux qui ne sont plus, que pour connaître les noms de ceux qui res­tent. Pour satisfaire à ces demandes, j'ai besoin de la liste générale de tous les déportés qui ont été envoyés ici. Comme cela intéresse plusieurs familles, qui ont besoin de renseignements positifs pour régler les successions, je t'invite à m'envoyer cette liste le plus tôt possible.

Le représentant du peuple Besson me la demande.

Le citoyen Watrin, sous les auspices de Laignelot, représentant du peuple, se plaint des difficultés qu'il a éprouvées pour avoir l'ex­trait mortuaire du citoyen Jonathas Larcher, curé de Ménerval, départe­ment de la Seine-Inférieure, et de l'illégalité de celui qui lui a été envoyé, signé par le citoyen Laly, capitaine et commandant-enseigne, qui est sur du papier libre, tandis qu'il devait être sur du papier marqué et légalisé de toi, à ce que je crois. Il faut au moins que ces extraits mortuaires aient la même forme que ceux des marins qui décèdent en mer.

Pour que je puisse remplir les visas de ceux qui auront besoin des renseignements des prêtres destinés à la déportation tu voudras bien me faire un tableau nominatif conforme au modèle ci-après …

 

Lettre du Commandant des armes à la Commission de la Marine

 

Archives du Service historique de la Marine, Rochefort, 1 A. 123, p. 141

 

Rochefort, 6 germinal an III (26 mars 1795)

 

Par sa lettre du 23 nivôse dernier, n° 544, mon prédécesseur vous a prévenu que les officiers de la marine ne voulaient plus souffrir parmi eux les lieutenants de vaisseau Viguier, Châteauneuf et l'enseigne Laly, rejetés de la Société populaire, et déclarés avoir perdu la confiance publique comme prévenus, savoir :

Viguier, d'avoir été un des plus forts soutiens du terrorisme et d'avoir exercé des vexations les plus inouïes de tout genre.

Châteauneuf, d'avoir été convaincu de vol et condamné à une peine déshonorante.

Laly, de s'être comporté de la manière la plus inhumaine envers les malheureux prêtres condamnés à la déportation et détenus à bord des Deux-Associés que ce féroce commandait.

Et vous a demandé, en conséquence, de vouloir bien vous prononcer, à cet égard, ce que vous avez vraisemblablement oublié de faire.

Je vous préviens, aujourd'hui, de mon côté, citoyens, que ces officiers, qui sont sans activité et avec qui personne ne veut servir, me harcèlent pour leur procurer de l'emploi, et que je ne sais que faire à leur égard. Je vous avouerai même que les services que peuvent rendre de tels hommes, loin d'illustrer la marine de la République, ne peuvent, au contraire, qu'être propres à la couvrir de l'infamie la plus manifeste.

Je vous prie donc de vous faire mettre sous les yeux la conduite de ces individus et de vous prononcer à leur égard comme ils le méritent.

 

Lelarge