HISTOIRE DE WOIPPY - LA FRAISE DE WOIPPY



LA FRAISE DE WOIPPY


1- Historique

2- Album souvenir

3- Quelques articles de presse



HISTORIQUE

Pendant plus d'un siècle, entre 1868 et les années 1980, la fraise fit la fortune et la renommée du Val de Moselle, en particulier de Woippy, qui en fut le berceau et le principal centre de production et de commercialisation ; à travers sa Fête des Fraises, instituée en 1926 et toujours célébrée au mois de juin, Woippy reste encore aujourd'hui, bien que la culture en ait quasiment disparu, le symbole de la fraisiculture mosellane.

En 1868, deux vignerons woippyciens, Dominique et Jacques VION, ramènent d'un voyage dans la région de Brest quelques plants de fraisier Ananas, variété alors cultivée à Plougastel-Daoulas. Acclimatée à Woippy, la fraise s'y développe rapidement : elle y occupe 50 hectares en 1895, et 125 en 1914 ; entre temps, elle s'est étendue aux communes du nord du Pays messin, où elle remplace la vigne atteinte par le phylloxéra (Norroy-le-Veneur, Plesnois, Marange-Silvange, Saulny, Semécourt…). A la veille de la guerre, la production s'élève à environ 2000 tonnes par an, dont la plus grande partie est expédiée vers les grandes villes d'Allemagne, principal marché de la fraise de Moselle. Afin d'organiser la production et défendre les intérêts de la profession, s'est créé en 1899, à la suite d'une grève des producteurs l'année précédente, le Syndicat des Producteurs de Fraises, à l'initiative de l'abbé Laurent, curé de Woippy.

Après la guerre, la culture de la fraise s'étend au sud du Pays messin, autour de Novéant et d'Ancy-sur-Moselle, et dans la région de Sierck-les-Bains. De 350 hectares en 1920 (dont 200 à Woippy), la superficie de la fraiseraie mosellane passe à 900 en 1930 et à 1230 en 1939 (dont 320 à Woippy), et la production atteint 3000 à 4000 tonnes dans les années 20, puis 5000 tonnes dans les années 30, avec un record de 8000 tonnes en 1937 : la Moselle représente alors entre un quart et un tiers de la production française de fraises. La profession fraisière s'organise sous l'impulsion du marquis Henry de Ladonchamps, qui dirige le Syndicat des Producteurs de Fraises de 1927 à 1932, et crée en 1930 l'Union des Syndicats de Producteurs de Fraises et autres Fruits de la Moselle. Grâce à son action, la fraise de Moselle renforce sa présence sur le marché allemand (notamment sarrois), du moins jusqu'à sa fermeture en 1932, pénètre la Suisse, s'impose sur les Halles de Paris (la maison Pascual y est le principal client) et conquiert le nord de la France, la Normandie et l'Alsace. Les confitureries de la région, comme Kinnel à Ban-Saint-Martin et surtout Lerebourg à Liverdun, sont également de gros et fidèles clients. Les années 20-30 sont l'âge d'or de la fraise, avec comme variété dominante Madame Moutot, appelée aussi, en raison de sa taille, fraise tomate. La Fête des fraises est instituée en 1926, avec pour première Reine Berthe Ceccato.

La Deuxième Guerre mondiale et les expulsions de 1940 sont une catastrophe pour la fraise. Les fraiseraies retournent à la friche ou sont reconverties, en cette période de pénurie, en champs de pommes de terre ou de légumes. En 1945, il ne reste plus que 150 hectares cultivés, soit 12% de la surface de 1939. Cependant, dès leur retour en terre lorraine, expulsés et évacués de 1944 retroussent leurs manches et reconstituent en quelques années les fraiseraies, qui en 1950 s'étendent sur 800 hectares. La production mosellane atteint 3000 tonnes cette année-là, 5700 tonnes en 1952, et culmine à 9000 tonnes en 1955, année de record absolu. Les marchés sont reconquis, et la Sarre absorbe entre 25 et 30% de la production. Symbole de la réputation et de la qualité de la fraise de Woippy : en 1952, un parfumeur de Grasse en achète une dizaine de tonnes à la Coopérative des Producteurs de Woippy (qui a remplacé le Syndicat en 1947).

Le début des années 60 marque cependant le déclin de la fraisiculture mosellane. Déjà fortement atteinte par les gelées de l'hiver 1956, la principale variété, Madame Moutot, connaît à partir de 1962 une grave dégénérescence. Malgré les efforts du Centre d'Expérimentation Fruitière de Laquenexy, qui introduit de nouvelles variétés et tente d'imposer de nouveaux modes de culture plus rationnels (comme les plants frigo), l'âge d'or de la fraise de Moselle est mort : en 1969, elle représentait encore 5% de la production française, en 1986 ce chiffre était tombé à 0,5%. La concurrence de régions productrices autrement plus dynamiques, voire de la fraise d'Espagne, le manque de rentabilité des fraiseraies de Moselle, l'emprise du béton - la fonction résidentielle supplante la fonction agricole - et l'évolution de la structure sociale de la profession fraisière (l'ancienne génération de producteurs n'est pas remplacée), expliquent la disparition de la culture de la fraise. Celle-ci n'est plus cultivée que localement, par des producteurs qui continuent à proposer le délicieux fruit rouge sur le bord des routes ou invitent les clients à le cueillir eux-mêmes dans leurs champs...

Pour en savoir plus, consulter l'ouvrage de Pierre Brasme La Fraise de Woippy, Editions Serpenoise, Metz, 1990, 229 pages.


L'ALBUM SOUVENIR...


Une des premières photos de la culture de la Fraise à Woippy
(juin 1897)



La charrette, la civière, la halette :
une image typique du pays des Fraises avant 1914



La cueillette des fraises. De haut en bas et de gauche à droite :
avant 1939 le long de la route de Thionville, en 1947 près du bois St-Vincent,
dans les annés 60, et en 1988 au dessus du Rucher à Woippy



Quand la fraise de Woippy faisait la couverture du magazine "Le Pélerin"...
c'était en 1938



Place du Champé : les producteurs, leurs charrettes remplies de fraises,
posent devant le "Syndicat", actuel Optique Genet, rue de Gaulle (avant 1939)



L'actuelle rue de Gaulle en pleine effervescence
(cliché Paul de Busson, juin 1939)



Construite en 1908, la gare de Woippy expédie des centaines
de tonnes de fraises (photo prise vers 1935)



9 juin 1948 : deux tonnes de fraises expédiées en Angleterre depuis Frescaty...
... elles ne seront jamais payées aux producteurs




La Fête des Fraises avant et après la guerre


Les dernières années de la Fraise à Woippy...


Florence Noirez, Reine des Fraises 1989


L'élection de la Reine des Fraises 2001


ARTICLES DE PRESSE

- Le Patriote Lorrain, 29 juin 1913 : " La saison des fraises touche à sa fin cette semaine. Cependant, ce délicieux fruit qui abonde et prospère surtout sur le ban de Woippy et sur quelques bancs voisins, Lorry, Saulny, Semécourt, continue à être expédié en grandes quantités. Des chargements entiers prennent le chemin de l'Allemagne."

- Le Messin, 16-17 mai 1914 : " Les fraises sont particulièrement belles cette année. Les champs sont tout blancs et offrent un coup d'œil splendide. Dans les endroits abrités, les fleurs tombent et la fraise noue déjà. On espère faire une récolte au moins aussi forte que celle de 1913. Il ne nous faudrait plus qu'un temps un peu plus favorable. Lors de son passage à Metz, l'empereur a eu l'occasion de goûter de nos produits. Un établissement horticole d'ici livra de magnifiques fraises pour trois de ses repas."

- Le Messin, 13 juin 1928 : "Oui, Woippy s'éveille ! Les persiennes ne sont plus hermétiquement closes comme il y a quelque dix jours... Des autos (beaucoup de la Sarre) vont et viennent... Les murs sont placardés d'affiches tricolores annonçant pour le dimanche 17 juin la fête des fraises. On voit dans le village des charrettes remplies de paniers vides qui seront pleins du fruit rutilant au retour des champs. La vie bruisse de partout. Dans un café-restaurant du centre du village, la salle est bondée. On sert des repas à toutes les tables. C'est là que les marchands allemands sont descendus. Il y a beaucoup de Berlinois."

- Le Lorrain, 15 juin 1931 : " Où porter ses pas, en ce dimanche si rutilant ? Woippy, tout proche, m'appelait par la rumeur de son travail ardent et la richesse de sa récolte de fraises. Je ne crois faire tort à aucun village du Val de Metz en écrivant que Woippy reste toujours comme la tête du mouvement fraisier... Je vis des gens appliqués à un dur labeur, pleins aussi de graves préoccupations, précisément parce que Woippy est la tête active du Syndicat des propriétaires. Un animateur extraordinaire, dévoué autant que désintéressé, est au milieu des ses hommes, relevant leur courage " [Il s'agit du président Henry de Ladonchamps].

- Le Lorrain, 14 juin 1932 : " La cueillette des fraises a commencé au Pays messin. Dimanche dernier déjà, des isolés venus avec voitures et petits camions ont fait commencer la cueillette des fraises à Woippy... Hier, Woippy a poursuivi la cueillette avec plus d'intensité, de même Lorry-lès-Metz et Devant-les-Ponts. Un wagon a été livré par Woippy à un grossiste. En général, les fraises prennent la direction de Strasbourg, Luxembourg et la Sarre... La récolte est belle, le fruit bien mûr, mais la quantité ne sera pas ce que faisait espérer la superbe floraison. Les pluies et le froid ont empêché en bonne partie les fruits de se former, surtout dans l'espèce tardive. Cependant, que les acheteurs ne craignent pas, il y en aura pour tout le monde, car les plantations sont cette année plus nombreuses que jamais. "

- Le Messin, 11 juin 1933 : " Si l'an dernier la récolte des fraises donna toute satisfaction aux producteurs de Moselle, celle de cette année laisse plutôt à désirer. Vendredi, quatrième jour de la cueillette, le nombre des paniers fut peu élevé ; d'ailleurs, signe caractéristique, aucun wagon n'a encore été expédié en gare de Woippy par le Syndicat des Producteurs de cette localité. Et hier c'était un peu jour de chômage, puisque le Syndicat avait fait connaître qu'il ne ramasserait pas ce jour-là. Ne pouvant constituer un wagon et le marché sarrois étant arrêté le dimanche, il était sage et prudent de ne pas cueillir. "

- Le Messin, 29 mai 1934 : " Le Syndicat de Woippy s'est installé dans un nouveau local, cela en raison du développement qu'il a pris au cours des dernières années, de son grand nombre de producteurs et de leur apport important. Il en a aussi profité pour transformer complètement son organisation. C'est ainsi qu'un pont-bascule a été aménagé pour les voitures et camions et qu'une bascule fonctionne à l'intérieur pour la pesée rapide et sans contestation des paniers... Le président dispose d'un bureau indépendant où il reçoit la clientèle et passe les commandes sans être importuné. "

- Le Lorrain, 16 juin 1934 : " Tous les ans à cette époque, de nombreux habitants de la ville ou des faubourgs vont à Woippy et y achètent les fraises. Depuis deux semaines, nombreux ont été les touristes qui se sont déplacés dans la cité des fraises et tous sont rentrés contents de leurs achats. Les ménagères attendent généralement les jours de grosses récoltes, où les fruits sont bien mûrs et les prix peu élevés... Se procurer des fraises à Woippy n'est pas bien difficile, les jours de cueillette : on en trouve chez tous les emballeurs ; les producteurs eux-mêmes vendent parfois des fraises au panier au sortir de leur champ. "

- Le Lorrain, 15 juin 1935 : " Tant le Syndicat des Producteurs de Fraises que les différents commerçants par leur activité, ont écarté, bien avant la récolte, le souci de trouver des débouchés et assureront selon toute prévision l'écoulement normal de la récolte. En ces premiers jours, des expéditions eurent surtout lieu en direction de la Suisse, Bâle notamment, en direction de Strasbourg pour les marchés alsaciens. Bien que les fraises du sud de Metz soient surtout dirigées sur le marché nancéien, la fraise de Woippy y trouve place. De même que l'année précédente, la production fraisière de la région de Sierck suffit à l'approvisionnement du Luxembourg. Les expéditions de fraises de Woippy sur Paris sont à leur début. D'autre part, lorsque la production sera plus forte, les grands centres du nord, Lille notamment, seront approvisionnés par les fraises de chez nous. "

- Le Républicain Lorrain, 7 juin 1950 : " Après hâlettes et panamas sortis de l'armoire pour préserver cueilleuses et cueilleurs des premières chaleurs, apparaissent les "civières" encore poussiéreuses d'un séjour prolongé au grenier, mais toute prêtes à recevoir les lourds chargements de paniers de fraises. Déjà l'accès du Syndicat est embouteillé par les files de voitures d'acheteurs français et étrangers qui se font toujours un plaisir d'admirer les alléchantes voiturettes de fruits fraîchement cueillis. Au milieu de cet enchevêtrement, c'est l'échange de bons mots et de réparties joyeuses, dans la joie des promesses d'une récolte abondante qui récompensera justement les efforts d'une population laborieuse. "

- Le Républicain Lorrain, 21 novembre 1974 : " Woippy, capitale de la fraise. Ce fut... ce n'est peut-être plus. En effet, cette commune que certains considèrent comme rurale se plie aujourd'hui aux exigences de l'industrialisation. Implantation d'une zone industrielle, prolifération de sociétés, Woippy est devenue une petite ville aux portes de l'agglomération. Néanmoins, par tradition, Woippy reste attachée à son passé fruitier et plus particulièrement à la culture des fraises. La récolte n'est plus celle d'antan, puisque les exploitations se font de plus en plus rares... La tendance générale est à la régression des surfaces cultivées, avec une fluctuation incessante des chiffres à la production... La culture trouvera-t-elle son second souffle ? Demain peut-être une autre génération trouvera sa raison d'être dans les rangs de cette culture spécialisée. "