La Paroisse de Moulins au 18e
Siècle

La Paroisse de Moulins au XVIIIe siècle

 

Sous l'Ancien Régime, le terme « paroisse » désignait la plus petite circonscription administrative et se confondait avec le territoire « dans lequel » - selon le Littré – « un curé dirige le spirituel. »

Pour vous présenter notre paroisse, j'emprunterai ici quelques passages du procès-verbal de visite, établi par le greffe de la Chambre épiscopale de Metz, en date du 20 avril 1752 :

 

« ... qu'il y a dans l'étendue de la paroisse de Moulin (s) quatre maisons considérables, celles de Mr de Faber (t), Seigneur du lieu, celle de Mr de Lesseville, Conseiller au parlement de Metz, celle de Grignan appartenante à Madame la Présidente Thiebeault, et celle appelée la maison rouge appartenante à Madame Bertrand... »

 

Il s'agit, de nos jours, et dans l'ordre du rapport de la Chambre épiscopale, des édifices suivants :

 

Ø Le château Fabert

Ø Le home de Préville

Ø L’Ermitage Saint-Jean

Ø La ferme de Maison-Rouge, aujourd’hui disparue, sise à l’emplacement du P.C . de l’autoroute

 

Il existait une cinquième maison considérable, aujourd'hui disparue, selon le procès-verbal précité, et qui servit de carrière pendant la Révolution :

 

« ... sans compter de même le château de Frescaty... » .

 

Résidence et orgueil des trois derniers prélats messins de l'Ancien Régime, elle occupait quelque 100 hectares sur le territoire de notre commune qui en comprend 708 et s'étendait de part et d'autre de la route qui relie la RN 57 (carrefour de Cora) et la D 5b (terrain d'aviation de Frescaty).

Mais revenons au procès-verbal qui nous renseigne sur le nombre d'habitants qui composaient la paroisse de Moulins, sans le personnel du château de Frescaty, en ce milieu du  XVIIIe siècle :

 

« ... le nombre des communians (adultes et adolescents), qui composent la paroisse de Moulin(s), a deux cent trente, sans compter vingt-six propriétaires, qui venant résider pendant l'été et les vendanges à Moulin(s)... sans compter de même le château de Frescaty... que le nombre des Enfans qui ne communient point se monte à cent neuf, sçavoir cinquante trois qui sont de l'âge de sept ans et au dessus, et cinquante six au dessous de cet âge... »

 

Nous pouvons ainsi déterminer le nombre d'habitants :

 

Ø 26 résidents secondaires

Ø 230 adultes et adolescents

Ø 109 enfants

Ø soit  365 habitants ;  le nombre de jours d'une année.

 

En 1789, les cahiers de doléances nous apprennent que le nombre de feux s'élevait à 69. Si nous admettons qu'en quarante années, à cette époque, la population n'évoluait que très peu, nous pouvons déterminer que le nombre de personnes par foyer ne dépassait pas cinq (339 que je divise par 69).

De cette communauté paroissiale émergent certaines personnalités qui l'administrent, la dirigent ou président à ses destinées, et qu'il me faut vous présenter :

 

Ø le seigneur du lieu, haut, moyen et bas justicier en sa terre

Ø le maire, juge établi par le seigneur

Ø le lieutenant de maire remplace le maire en son absence

Ø le procureur d'office ou procureur fiscal défend les intérêts du seigneur

Ø le greffier de la justice et de la communauté dresse les actes de la justice et de la communauté

Ø le bangarde (garde-champêtre)

Ø le sergent, le plus bas officier de justice, exécute les ordres du maire de la justice

Ø le syndic représente la communauté paroissiale et défend ses intérêts

Ø le curé administre la paroisse, aidé d'un vicaire qui dessert Sainte-Ruffine, annexe de Moulins

Ø le régent d'école tient la petite école, sous la surveillance du curé, et fait office de greffier

Ø la sage-femme ou matrone, élue par les femmes de la paroisse, fait office également d'infirmière, de garde-malade et procède à la toilette des morts. Seule femme ayant une fonction, elle tient, dans nos villages, les deux bouts de l'existence : la naissance et la mort. Au XVIIIe siècle, mourir à l’hôpital était considéré comme une déchéance.

 

Et nous arrivons à l'aube de la Révolution où tout acte législatif de cette période se répercute sur le mode de vie de cette microsociété, comme nous le verrons ci-après, et bouleverse son ordonnance.

 

1er Novembre 1787 – La  Première Assemblée municipale

 

Pour sortir son royaume du marasme économique, le roi Louis, seizième du nom, crée, le 22 juin 1787, les assemblées provinciales (à l'échelon de la généralité), cantonales ou de district (à l'échelon du bailliage), et municipales ou de communauté (à l'échelon de la paroisse) :

 

« Art. 1er - Il sera dans toutes les provinces de notre royaume où il n'y a point d'États provinciaux, et suivant la décision qui sera par nous déterminée, incessamment établi une ou plusieurs assemblées provinciales, et suivant que les circonstances locales l'exigeront, des assemblées particulières de district et de communautés... les unes et les autres composées d'aucuns (quelques uns) de nos sujets des trois ordres payant des impositions foncières ou personnelles. »

 

Les membres composant l'assemblée municipale de Moulins se réunissent la première fois le :

 

« premier novembre mil sept cent quatre vingt sept en vertu d'une lettre en date du vingt six 8bre (octobre) dernier adressée au sindic de l'assemblée municipale du village de Moulin lez Metz, et à lui remise le premier dud. (dudit) mois à dix heures du matin... de suite l'assemblée municipale ayant été convoquée pour les quatre heures dud. Jour premier novembre, elle a eu lieu chez Messire de Fabert Chevalier Seigneur dud. lieu... Président de ladite assemblée dans laquelle il a pris séance, le sieur Curé de Moulin ayant été invité de s'y trouver s'en est excusé... »

 

L'article IV de l'édit du 22 juin 1787 prévoit que :

 

« … la présidence desdites assemblées et commissions intermédiaires sera toujours confiée à un membre du clergé ou de la noblesse et elle  ne pourra jamais être perpétuelle. »

Lorsque la communauté paroissiale se réunissait au château, Monsieur de Fabert présidait la séance et lorsqu'elle se réunissait dans l'une des « salles de la maison curiale », l'abbé Martin Lhuillier la présidait. Mais, si le curé ne se rendait jamais au château, le seigneur du lieu boudait toujours les séances du presbytère... L’abbé Lhuillier, en homme du tiers état, me semble ne pas apprécier les nobles.

Avec « Messire de Fabert, Chevalier dudit lieu », siègent à cette première assemblée, messieurs :

 

Ø Antoine Lapointe, syndic

Ø Jean Bertrand

Ø François Gavard, qui signe d'une croix

Ø Jacques Maurice

Ø Dominique Bouchy, greffier.

 

Comme ce dernier faisait fonction de régent d'école et ne payait pas d'impôt foncier ni d'impôt personnel, il ne pouvait pas siéger à cette assemblée, mais cette dernière le désigne comme greffier par cooptation :

 

« Les membres de ladite assemblée municipalle apres avoir pris en commun communication de ladite lettre et programme on a délibéré pour l'élection d'un greffier et le choix étant tombé sur Dominique Bouchy, Régent d'école, il a été appelé et s'est présenté en ladite qualité et pris séance... »

 

1789 – Martin Lhuillier, le Curé patriote

 

Les membres de l'Assemblée patriotique (les progressistes) se réunissent à Metz, le jeudi 15 janvier 1789 ; ceux de l'Assemblée des Trois Ordres (les conservateurs), toujours à Metz, le mercredi 21 janvier. Dès réception des procès-verbaux de ces deux réunions, l'abbé Martin Lhuillier, curé de Moulins, convoque les « membres composans l'assemblée municipale de Moulin », dans l'une des salles du presbytère, préside la séance, dresse la minute de la réunion et la signe :

 

« Ce jourdhui vingt neuf janvier mil sept cent quatre vingt neuf nous Curé, Sindic et autres membres composans l'assemblée municipale de moulin, ayant lu le procès-verbal imprimé de l'assemblée tenue le quinze du mois en la grande salle de l'academie de l'hotel de Ville de Metz, lu pareillement le procès verbal imprimé des trois ordres de ladite ville en datte du vingt et un de ce mois, la matiere mise en délibération, nous declarons que nous adherons librement de cœur et d'affection audit procès verbal de l'assemblée patriotique du quinze de ce mois comme exprimant le vœu commun de cette province et la nôtre en particulier, nous adherons audit procès verbal en tout son contenu, arreté qu'à la diligence de notre sindic municipal copie dument collationnée de notre présente adhésion sera remise à M. le marquis de cherisey, commandant de l'ordre de St Louis, lieutenant general des armées du roy.  Fait à moulin les  jour, mois et an que dessus.

Lhuillier curé de moulin et de ste rufine. »

 

Lorsque l'assemblée municipale de Moulins siégeait au château Fabert, l'abbé Martin Lhuillier ne participait pas à ses travaux, il est bon de le rappeler. Ce procès-verbal nous confirme que Martin Lhuillier, quoique appartenant au premier ordre du royaume, le Clergé, se considérait comme un homme du tiers. Et nous pouvons affirmer que, sous l'Ancien Régime, les clercs conservaient, en règle générale, la mentalité de leur ordre d'origine : ce qui nous donne un haut ainsi qu'un bas clergé.

 

Les  Cahiers  de  Doléances de la Paroisse de Moulins

 

Pour sortir son royaume du marasme économique, le roi Louis, seizième du nom, décide, après plusieurs réformes avortées ou rejetées, de convoquer les États généraux. Avant l'ouverture de ces derniers, les Assemblées primaires se réunissent pour établir leur « Procès-verbal d'Assemblées des Villes, bourgs et villages et Communauté  pour la nomination de Députés. »

Conformément à l'Art. 9 de l’Instruction du 24 janvier 1789 (« … 9° - Le procès-verbal d'assemblée des paroisses et communautés pour l'élection de leurs députés, … » ), l'assemblée primaire de Moulins, composée de Moulinois, « tous François ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, compris dans les rôles des impositions », se réunit le dimanche 8 mars 1789. Au cours de cette réunion, ils procèdent à l'élection de leurs deux députés, Jean Bertrand, syndic, et Jacques Maurice, ainsi qu'à la rédaction de leurs doléances qui figurent en annexe du "Procès-verbal"

Jean Bertrand et Jacques Maurice se rendent ainsi « à l'assemblée général (sic) du douze du courant, dans la Ville de Metz », le jeudi 12 mars, et assistent à l'assemblée préliminaire du bailliage de Metz qui réduit l'effectif des députés. Si Jean Bertrand, notre syndic, fait partie de cet effectif réduit, Maurice Jacques, quant à lui, rejoint Moulins.

Le lendemain, 13 mars, les députés réduits de la Ville de Metz et ceux de la campagne commencent l’élaboration du cahier de doléances du tiers du bailliage de Metz, sous la présidence de Charles-Nicolas Carré, conseiller du Roi, lieutenant général aux bailliage et siège présidial de Metz. La session du tiers se termine le vendredi 20 mars 1789. Le cahier comprend quelque 86 articles.

Monsieur de Fabert, seigneur de Moulins, participe à l'élaboration du cahier de doléances de la noblesse, remis à Monsieur le baron du Pontet, conseiller du Parlement, le 14 avril 1789.

Avant d’entrer en … Religion ainsi qu’en … Révolution, il me reste à vous présenter :

 

Ø L’Église de France sous l’ancien régime

Ø Les cahiers de doléances du clergé du bailliage de Metz

Ø La composition de l’Assemblée nationale constituante, cette dernière parce que le successeur de    l’abbé Martin Lhuillier y siège.

 

L'Église de France sous l'ancien Régime

 

Au moment de la Révolution française, la population du royaume de France avoisinait les vingt-neuf millions d'âmes, répartie en trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état.

Le premier ordre de France, avec ses 140 000 membres, ne représentait pas un pour cent de la société française mais possédait un sixième du territoire national. Grosso modo, les clercs - 0.5 % de la population -, se partageaient inéquitablement – parce que seul le haut clergé en profitait - 16,7 % des revenus du royaume. À ces revenus s'ajoutaient le casuel (les messes d'enterrement, les messes de mariage, les messes pour le repos des âmes ainsi que les sépultures, les bancs d'église, etc.) et la dîme (impôt pour subvenir aux frais du culte), environ 5,5 % du revenu national.

Le clergé, comme la noblesse, ne versait pas d'impôt au Trésor royal mais une contribution annuelle qui ne dépassait pas cinq pour cent de son revenu et incombait aux seuls prêtres du ministère. L’ordre du clergé se composait de :

 

Ø 200 archevêques, évêques et suffragants

Ø 35 000 religieux

Ø 40 000 religieuses

Ø 65 000 prêtres du ministère.

 

Cette caste se recrutait soit dans la noblesse soit dans le tiers et ne possédait aucune homogénéité. Les clercs conservaient, en effet, la mentalité de leur ordre d'origine. Ce qui donnait un haut ainsi qu’un bas clergé.

À l'aube de la Révolution, comme le roi nommait aux évêchés ainsi qu'aux abbayes, il n'existait plus un seul roturier à la tête des cent trente-deux diocèses du royaume. De leur côté, les évêques nommaient aux chapitres cathédraux et réservaient les meilleurs bénéfices  aux fils de famille. La collation aux cures incombait aux patrons des paroisses. La majorité de ces dernières dépendaient de maisons religieuses ; rarement d'un seigneur laïc, parfois d'un diocèse. Dans ce dernier cas, l'attribution se faisait par voie de concours. La disparité des revenus, à tous les échelons de la hiérarchie, entraînait une chasse aux bénéfices.

Considérons, à présent, les revenus du dernier évêque messin de l'ancien régime, Monseigneur Louis Joseph de Montmorency-Laval - premier baron chrétien. Grand Aumônier du roi, abbé commendataire de plusieurs abbayes -. et comparons-les à ceux d'un curé et d'un vicaire - ces deux derniers, à la portion congrue, sorte de minimum vital. Les émoluments perçus illustreront la disparité entre le haut et le bas clergé ; bref ! entre les clercs issus de la noblesse ou du tiers-état. Les sommes, ci-après, représentent les revenus ... mensuels convertis ... en euros actuels :

 

Ø le vicaire                          500 euros

Ø le curé                          1 000 euros

Ø l'évêque de Metz        38 000 euros.

 

1789 – L’Église de Metz

 

Dans son œuvre « Le Clergé de la Moselle pendant la Révolution », le chanoine Paul Lesprand nous renseigne sur le malaise du bas clergé ; malaise dû à l’arrogance de l’évêque de Metz, Louis Joseph de Montmorency-Laval, premier baron chrétien. Quelques extraits du premier tome nous aideront à comprendre l’attitude « patriotique » de ces curés issus du tiers état et méprisés par leur supérieur.

 

« Ce prélat, fier et hautain, bornait sa société aux officiers généraux et colonels de la garnison. Quelques jeunes gens, dont il connaissait les familles, y étaient aussi admis. Parmi les femmes, les dames du chapitre noble de Saint-Louis y avaient tout privilège. L'abbesse, soeur du duc de Choiseul, y jouait le premier rôle. »

 

Mademoiselle de Choiseul avait le privilège du lit, si je me réfère aux Mémoires de  la comtesse de Boigne :

 

« Pendant les premières années du séjour de mes parents à Versailles, ils partageaient leur été entre les habita­tions de monsieur le duc d'Orléans, Sainte-Assise et le Raincy, Hautefontaine appartenant à l'archevêque de Narbonne, Frascati (sic) à l'évêque de Metz, et Esclimont au maréchal de Laval.

Frascati, résidence de l'évêque de Metz, était situé aux portes de cette grande ville. L'évêque était alors le frère du maréchal de Laval. Il s'était passionné, en tout bien tout honneur, pour sa nièce, la marquise de Laval, comme lui Montmorency. Il l'ennuyait à mourir, en la comblant de soins et de cadeaux, et elle ne consentait à lui faire la grâce d'aller régner dans la magnifique rési­dence de Frascati que lorsque ma mère pouvait l'y accom­pagner : ce à quoi elle fut d'autant plus disposée pen­dant quelques années que la garnison de mon père se trouvait en Lorraine. 

L'évêque avait un état énorme et tenait table ouverte pour l'immense garnison de Metz et pour tous les officiers supérieurs qui y passaient en se rendant à leurs régi­ments. Cette maison ecclésiastico-militaire était bien plus sévère et plus régulière que celle de Hautefontaine.

Cependant, pour conserver le cachet du temps, tout le monde savait que madame l'abbesse du chapitre de Metz et monsieur l'évêque avaient depuis bien des années des sentiments forts vifs l'un pour l'autre, mais cette liaison, déjà ancienne, n'était plus que respectable. »

 

Mais notre évêque ne tenait pas table ouverte pour son clergé … Abandonnons cette digression et revenons aux extraits du chanoine Paul Lesprand :

« Le premier acte important de son ministère fut d'appeler (1764) à la direction du Grand Séminaire les Lazaristes. Ceux-ci possédaient déjà à Metz depuis un siècle le séminaire de Sainte-Anne ; celui de Saint-Simon leur fut également confié. Les aspirants au sacerdoce furent répartis entre les deux maisons : dans la première, ils consacraient deux an­nées à la philosophie et aux sciences, puis passaient dans l'autre pour l'étude de la théologie. »

 

François Martin Thiébaut, docteur en théologie, curé de Sainte-Croix de Metz, perdit, de ce fait, son poste de directeur du séminaire Saint-Simon, et nous le retrouverons en opposition avec l’évêque.

 

« L'anoblissement du chapitre de la cathédrale souleva de violentes protestations ; toutes les dignités et vingt-huit pré­bendes étaient attribuées à des nobles, les dix autres pou­vaient, mais ne devaient pas être conférées à des gradués. Dès qu'il en avait été question, Mgr de Montmorency avait promis de « s'employer et de solliciter lui-même cette grâce », et il le fit si bien, qu'après la réussite, la reconnaissance du chapitre alla en première ligne « au puissant crédit de Mgr l'évêque de Metz, à ses vives instances et au zèle ardent qu'il avait marqué » ; vaine avait été l'opposition du parlement de Metz et des Trois-Ordres de la cité. Les curés trouvè­rent l'occasion, lors de la rédaction des cahiers de doléances en 1789, de manifester aussi leur mécontentement : « Nous sommes venus à bout, écrit l'un d'eux, de nous ménager des places dans le chapitre noble de Metz ; ce n'a pas été le moin­dre de nos soins. Le curé de Sainte-Croix de Metz ... a prouvé évidemment que toute la classe sacerdotale était noble, et qu'il n'y avait aucun roturier parmi nous. » . »

 

« Mais, même si sa charité s'exerce encore largement en dehors de ces circonstances solennelles, Mgr de Mont­morency n'est pas populaire. D'abord on ne le voit guère ; la cour l'attire, et il y réside trop fréquemment ; et puis, sauf quelques occasions exceptionnelles où il veut bien, avec d'au­tres grands personnages, se mêler au peuple, il ne sait pas se faire simple, accueillant, condescendant vis-à-vis des petites gens. Il use d'ailleurs d'une réserve semblable à l'égard de son clergé. « Un reproche fondé qu'on a fait à cet évêque était de ne pas admettre à sa table les curés ou les prêtres subalternes que les affaires spirituelles obligeaient à venir le trouver. Il les laissait aller au tournebride construit au bout de son avenue [de Frescaty] sur la grand'route. Le moins aurait été d'avoir une seconde table, présidée par un de ses grands vicaires. » Un curé du temps lui reproche « un abord froid, dédaigneux et réservé », qui « a flétri les coeurs de ses chanoines et de ses curés, qui craignaient de l'ap­procher et ne savaient comment lui parler. » »

 

« On comprend  que  cette façon de choisir ses  premiers  collaborateurs  n'ait  pas gagné à

Mgr de Montmorency les sym­pathies de son clergé. M. Colson, curé de Nitting, en fait la remarque : « Les vicaires généraux, choisis pour leur mé­rite et surtout pour leur appli-cation au travail, furent bientôt remplacés par de jeunes gentilshommes qui se disposaien à l'épiscopat, auprès desquels les recommandations prirent trop souvent la place des services rendus et des talents ». Et il ajoute : « La faveur régnait jusque dans la distribution des bénéfices à charge d'âmes ». »

 

« On le voit : bien que l'Église fût incontestablement riche alors, le bas clergé n'avait guère à s'en féliciter ; mais il n'é­tait pas seul à se plaindre. Le peuple, auquel il tenait par son origine et par des rapports constants, appréciait de même ces graves abus. »

 

Voici comment s'exprimait, en avril 1789, le pro­cureur syndic de la ville de Metz :

 

« Ce qui prouve jusqu'où l'abus s'est porté, c'est ce qui s'est passé au sujet du chapitre de la cathédrale de Metz. Il avait été doté par nos pères ; le but de son établissement avait été d'assurer une retraite aux curés ; les biens qui y avaient été réunis suffisaient pour assurer une retraite honnête à quatre-vingts chanoines. Quoi­que le produit des propriétés soit presque doublé, ces quatre-vingts prébendes sont réduites actuellement à trente-huit ; depuis longtemps les curés du diocèse en sont exclus. Nous avons vu, il y a peu d'années, deux curés de campagne être, après quarante années d'exercice dans le ministère, obligés de se retirer à l'hôpital pour y finir leur carrière. Un abus contre lequel on ne réclame pas amène presque toujours une injus­tice. En 1777, des trente-huit prébendes vingt-huit ont été af­fectées à la noblesse, en sorte qu'il n'y a plus que dix places qui puissent être possédées par des roturiers ; encore, au moyen de la liberté qu'on laisse au chapitre de compter même les nobles gradués pour former le nombre de dix, il peut, quand il le juge à propos, refuser le roturier qui se pré­sente.

Nous devons croire que nos ancêtres, en se soumettant de payer la dîme de leurs récoltes, ne l'ont fait que pour pour­voir à l'entretien de leurs églises, pour fournir à la subsis­tance de leurs pasteurs et à la nourriture des pauvres. Cepen­dant nous voyons la presque totalité des dîmes dans la pos­session des abbés commendataires, des chapitres et des moi­nes, dont l'obligation est restreinte à payer aux curés des­servants une modique portion congrue qui leur fournit à peine le strict nécessaire. L'édit de 1695 paraissait laisser des doutes au sujet des réparations des églises, des nefs et des presbytères : le parlement de Metz, lors de son enregistre­ment, l'avait interprété en faveur des communautés (communes). Mais en 1772, le clergé (lisez les gros décima­teurs) est parvenu par son crédit à obtenir une déclaration qui l'a déchargé de cette obligation. Quant aux secours que les décimateurs doivent aux pauvres des paroisses où ils per­çoivent la dîme, il y a lieu de croire qu'ils ne se dispensent pas de cette obligation que leur dicte l'humanité ; nous obser­verons cependant que, si ce qui est destiné au soulagement des pauvres était dans les mains des curés, peut être serait-il réparti plus exactement.

Il y a dans le bailliage de Metz cinq abbayes en com­mende qui peuvent produire annuellement 200.000 livres cette somme, qui suffirait pour faire un sort honnête à deux cents curés, est répartie entre cinq ecclésiastiques. Une ab­baye en commende est un bénéfice qui n'exige aucun carac­tère sacerdotal, aucune résidence ni présence, ni même aucune espèce de fonctions de la part de celui qui en est pourvu. L'existence de ces abbayes, loin d'être d'aucune utilité à la société, lui est au contraire à charge au moyen de ce que le revenu qui y est attaché n'est jamais consommé dans le pays.»1)

1) Archives municipales de Metz

 

30 Mars 1789 – L’Assemblée bailliagère de Metz

 

Pour nous familiariser avec le déroulement de l’élection des députés du clergé du bailliage de Metz aux États généraux citons quelques extraits de l’ « Histoire religieuse du Département de la Moselle pendant la Révolution » que nous devons à l’abbé Jean Eich.

 

« Le règlement du 24 janvier 1789 fixa le mode de désignation des députés. Il attribuait le scrutin direct à la noblesse, le scrutin à deux degrés, avec double représentation, au Tiers. Quant au clergé, on lui concéda un mode d'élection mixte et assez compliqué.

Tous les ecclésiastiques possédant un bénéfice distinct et séparé (évêques, abbés ou prieurs commendataires, curés, chapelains) pou­vaient participer personnellement aux assemblées électorales. Les chapitres ne disposaient que d'un représentant par dix chanoines. Quant aux ecclésiastiques attachés au service des chapitres et aux bénéficiers non résidant en ville, ils n'avaient qu'un représentant pour vingt. Les communautés religieuses des deux sexes, ainsi que les chapitres de dames, ne pouvaient envoyer aux assemblées élec­torales qu'un seul représentant ou délégué par maison, quelle que fût leur importance.

Ce mode de scrutin assurait une prédominance incontestable aux curés et aux petits bénéficiers, première compensation pour l'indifférence qu'on leur avait manifestée jusque là. Ils devenaient en quelque sorte les arbitres de leur ordre. Leur union pouvait fer­mer l'entrée aux Etats généraux à tous les représentants de la por­tion de leur ordre qui, alors encore, constituait le haut clergé.

L'assemblée bailliagère de Metz se réunit le 30 mars 1789. Les curés y avaient une écrasante majorité. Les délégués des cha­pitres et des maisons religieuses élevèrent aussitôt une véhémente protestation contre le sort qui leur était fait et exigèrent son ins­cription au procès-verbal de la séance. « Les soussignés, y lisons-nous, ...déclarent qu'étant assemblés en corps du clergé sous la présidence de M. l'Evêque de Metz pour satisfaire aux ordres du roi relativement à la convocation des Etats généraux, la première chose dont ils ont été frappés et touchés a été l'inégalité et la dis­proportion de la présentation assignée aux chapitres, corps et com­munautés dont ils sont les députés, comparée à la présentation accordée aux sieurs curés du bailliage. Il est résulté de cette com­position que, quoique le nombre effectif des chanoines et autres personnes ecclésiastiques composant les dits corps et communautés soit supérieur à celui des sieurs curés du bailliage de Metz, ceux-ci se sont trouvés à l'assemblée de l'ordre du clergé en nombre très supérieur à celui des soussignés. Cette disproportion ne paraîtra pas moins contraire aux principes, si les intérêts et la propriété sont considérés... » D'avance, ils protestaient contre l'interprétation qui pourrait être donnée aux cahiers de doléances qui, selon eux, ne sont que l'expression des voeux des curés.

Ces protestations ne touchèrent guère la majorité de l'assem­blée électorale. Les curés en étaient les maîtres, rien ne pouvait les empêcher d'agir à leur guise. Mgr de Montmorency-Laval1), qui présidait de droit, aurait bien voulu se faire désigner comme député de son clergé. Mais, « malgré son chapeau rouge et sa haute dignité de grand-aumônier de France »,  pour  employer   les   expressions  de  l'abbé  Chatrian,  curé  de  Saint-Clément  (bailliage   de   Vic),   il   ne   réussit  à   se  faire   élire. «  Nonobstant  la  bonne  volonté  que notre évêque  président avait d'être  notre député, nous sommes  venus à bout de ne pas répondre à ses voeux », écrira quelques jours plus tard l'abbé Chavane, curé de Vallières, à l'abbé Guilbert, curé de Saint-Sébastien, et l'abbé Chatrian de conclure : « Il reçut alors le châtiment bien mérité des hauteurs avec lesquelles il avait tou­jours traité son clergé. » Pour éviter l'élection de l'évêque, les curés préférèrent donner leurs voix à un bénédictin, dom Collette, principal du collège de Metz, auquel ils adjoignirent comme collègues Jean-Nicolas Jénot, curé de Jussy, Jean-François Jénot, curé de Chesny (futur curé de Moulins), et François-Martin Thiébaut, curé de Sainte-Croix de Metz. Ce dernier choix est bien révélateur des sentiments du bas clergé à l'égard de Mgr de Montmorency-Laval. Thiébaut était supérieur du séminaire Saint-Simon lorsque l'évêque, peu de temps après son arrivée à Metz, enleva la direction de cet établissement au clergé diocésain pour la donner aux lazaristes, mesure que ne lui pardonnaient pas les prêtres du diocèse. »

1) Mgr de Montmorency essaya, non moins inutilement, d'une autre voie pour entrer aux États généraux, assimilant ceux-ci aux diètes de l'Empire où ses prédécesseurs avaient le droit de siéger. (Brette, Recueil de documents relatifs à la convocation des États généraux. Paris, 1894, t. I, p. LV. – Cité par le chanoine Paul Lesprand

 

15 AVRIL 1789 – L’Assemblée de Réduction à Metz

 

« A l'assemblée de réduction de Metz, qui se réunit le 15 avril, les curés avaient également la majorité absolue. Neuf délégués y représentaient les cinq bailliages de cet arrondissement. C'étaient, pour le bailliage de Metz, Jean-Nicolas Jénot, curé de Jussy, Fran­çois-Martin Thiébaut, curé de Sainte-Croix de Metz, Jean-François Jénot, curé de Chesny, et dom Henri-Joseph Collette, principal du collège de Metz ; pour celui de Thionville, Jean-Mathias Brousse, curé de Volkrange, et François Jacoby, curé de Kédange ; pour celui de Sarrelouis : Jean-Baptiste Bordier, abbé de Wadgasse ; pour celui de Longwy : Pierre Faulbecker, curé de la ville et vice-official ; pour celui de Sarrebourg-Phalsbourg enfin : Pierre-Michel Georgel, curé de Sarrebourg et doyen du chapitre.

A Metz, comme à Sarreguemines, les curés s'adjugèrent tous les sièges et désignèrent comme députés François-Martin Thiébaut, curé de Sainte-Croix, et Jean-Mathias Brousse, curé de Volkrange . »

 

Les Archives parlementaires nous apprennent que :

 

« Lecture faite du présent cahier, il a été unanimement approuvé, arrêté et signé, tant par  Mgr l’évêque,  présidant l’assemblée, que par MM. les commissaires. Mgr L.-J., évêque de Metz ; Mgr H., évêque d'Orope ; Chevreu, doyen du chapitre de Gorze, commissaire ; de la Marre, Minime ; D. Colette, commissaire ; Thiebaut, curé de Sainte-Croix ; Jenot curé de Chenez (Chesny) ; Lhuillier, curé de Saint-Livier ; Jenot, curé de Jussy ; Dupleit, curé de Lessy ; Sidoz, curé de Semécourt ; Frochart, curé de Courcelle- Chaussy ; F. Gravelotte, curé de Cuvry ; Sar, curé de Saint-Victor ; secrétaire de l'assemblée. »

Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

Cahier

« Des pouvoirs et instructions du député de l'ordre du clergé du bailliage de Metz, pour être remis au député aux Etats généraux, pour l'ordre du clergé dudit bailliage remis à MM. Thiébaut, curé de Sainte-Croix de Metz, et Brousse, curé de Volerange (Wolkrange), députés du clergé des bailliages de Metz, Thionville, Sarrelouis et Longwy, et des prévôtés royales de Phalsbourg et de Sarre­bourg. »

Archives parlementaires / BNF - Gallica

 

En  guise  de conclusion et  pour ne pas être trop  négatif à l’égard  du dernier  évêque  de l’ancien régime, rappelons qu’en 1764 Louis XV accorde à Louis Joseph de Montmorency-Laval, paroissien de Moulins, l’autorisation d’établir une verrerie sur les terres de Baccarat : la verrerie Sainte-Anne, ancêtre de la Manufacture actuelle, transformée en cristallerie par Gabriel-Aimé d’Artigues en 1816.