LA SHW - LES SORTIES

Le Pays des trois abbayes
Dimanche 23 septembre 2018




Lors du trajet aller, Pierre Brasme, nous a présenté une étude sur la principauté de Salm-Salm dont voici la teneur :

La principauté de Salm-Salm

Permettez-moi d'abord de vous lire ces quelques mots extraits d'un avant-propos de M. Jean Klinkert, directeur de l'Agence de développement touristique de Haute-Alsace, dans un numéro spécial de la revue Passion Vosges consacré aux abbayes du massif vosgien :

« D'une nature douce et sauvage à la fois, paradis de la randonnée, le massif des Vosges recèle aussi de nombreux trésors patrimoniaux, témoins de son histoire et de la place que l'homme y a tenue depuis près de 2000 ans.

« Christianisée dès la fin du VIe siècle, la montagne vosgienne a accueilli de nombreuses abbayes et nous lègue aujourd'hui un patrimoine exceptionnel... Les moines ont au fil des siècles domestiqué et défriché une nature sauvage, développé l'agriculture et créé ce qui fut l'ancêtre des coopératives... »

Le massif vosgien a compté une trentaine d'abbayes, la plupart situées dans sa partie alsacienne, nées d'une véritable colonisation monastique entre le VIIe et le XIe siècle, qui a été surtout le fait des moines bénédictins, et qui a fait des Vosges une « montagne d'abbayes ». Au début du XVIIe siècle, un certain Jean Ruyr, homme d'Église et érudit, a comparé ce manteau d'abbayes et de monastères au mont Athos, qui au nord de la Grèce concentre une vingtaine de monastères orthodoxes.

Le point de départ de cette vague de créations monastiques est la fondation en 590 du monastère d'Annegray, près de Luxeuil, par le moine irlandais Colomban, puis vers 620 de celui de Remuement par Romaric. Je ne vais pas vous citer tous ces établissements vosgiens, dont l'un des plus célèbres et des plus fréquentés reste tout de même l'abbaye de Hohenbourg, plus connue sous le nom de monastère du mont Sainte-Odile, fondé au VIIIe siècle et encore aujourd'hui important lieu de pèlerinage, que la plupart d'entre vous connaissent, j'imagine.

Aujourd'hui nous allons en visiter trois, qui sont situés entre Raon-l'Étape et Saint-Dié-des-Vosges, dans la vallée du Rabodeau, un affluent de la Meurthe ce matin l'abbaye de Senones (fondée en 640, selon une tradition plus ou moins légendaire par saint Gondelbert), et cette après-midi Moyenmoutier (créée en 671) et Étival (fondée également vers le milieu du VIIe siècle).

Je ne vais pas vous raconter l'histoire de ces 3 abbayes, encore moins vous les décrire, puisque nous aurons des guides pour cela, mais je voudrais vous dire quelques mots du cadre historique qui les a vues se développer avant la Révolution : le comté puis principauté principauté de Salm, cette petite enclave princière devenue indépendante en 1751 et qui fut annexée par la Convention en 1793, donc rattachée à la France. Sur les armes de cette principauté figurent deux saumons accolés de dos, à ne pas confondre avec les deux bars du duché de Bar, même s'il y a, nous le verrons dans quelques instants, un lien avec ce duché.

Quelles sont les origines de ce comté devenu principauté ? Remontons au XIe siècle, en Belgique actuelle. Le premier comte de Salm est Giselbert (1007-1059), fils cadet du comte Frédéric de Luxembourg. Il était également comte de Longwy, et à la mort de son frère Henri II, en 1047, il reçoit le comté de Luxembourg. Il transmet alors le comté de Salm à l'un de ses fils cadets, dit Hermann Ier de Salm (1035-1088), considéré comme la tige de la Maison de Salm. Le nom de Salm est celui d'une rivière située dans les Ardennes belges, qui a aussi donné son nom à la seigneurie de Viesalm et au village de Salmchâteau, entre Liège et la pointe la plus au nord du Grand-Duché.

À partir de là, l'histoire côtoie la légende, et certains aspects restent flous, non élucidés, voire empreints de mystère, par exemple en ce qui concerne le château de Pierre Percée. Le fils d'Herrnann Ier, Hermann II, épouse en 1110 Agnès de Bar ou de Mousson ou encore de Montbéliard, fille du comte de Bar Thierry ler, et veuve du comte de Langenstein (ou Longue Pierre, qui correspond à l'actuelle Pierre-Percée, ainsi nommé en raison du puits très profond que fera creuser Agnès dans son château, puits qui sera transformé en oubliettes).

Grâce à l'évêque de Metz Adalbéron, Hermann est nommé l'année suivante avoué de l'abbaye de Senones : il est chargé de protéger et de faire respecter les droits seigneuriaux, c'est-à-dire le temporel de l'abbaye. Il conserve le titre de comte pour ne pas déchoir vis-à-vis de son épouse ni de ses parents restés en Ardenne belge. La charge d'avoué, ou de voué, devient héréditaire, et la famille de Salm s'implante sur le territoire de l'abbaye de Senones.

Mais notre comte ne peut se restreindre à n'être qu'un homme d'armes et un administrateur au service exclusif de son bienfaiteur. Sa fougue guerrière resurgit bientôt et, dévoré par ses passions, il commence à usurper les droits de l'abbaye, s'émancipe définitivement de son protecteur messin et ordonne le pillage des bans voisins.

Un conflit s'installe dès le XIIIe siècle entre la maison de Salm et l'abbaye de Senones, avec pour objet le partage des importants revenus des mines de fer et de leurs forges. Le conflit atteint son apogée sous le comte Henri IV, qui exploite rationnellement les puissants gisements minéralisés de fer et de cuivre de Grandfontaine. N'étant pas propriétaire du terrain, des querelles s'élèvent avec le propriétaire du sol, qui n'est autre que l'abbé de Senones. Celui-ci fait intervenir le puissant évêque de Metz, Jacques de Lorraine. Les mines sont détruites vers 1258, mais réédifiées presque aussitôt, dès 1261. Les conflits concernent aussi le partage de l'autre grande richesse du territoire : le bois.

Au XVe siècle, la maison de Salm va se diviser en deux branches

- L'une francophone dite « comtes de Salm », qui va se lier avec les ducs de Lorraine, c'est la branche « hermanienne », les descendants directs du comte Hermann,

- L'autre germanophone, nommée « les Rhingraves », branche qui se convertit à la Réforme en 1540.

 

Quatre dates marquent une succession de tournants dans l'histoire du comté de Salm :

1- En 1473, lorsque les comtes de Salm s'affranchissent de la tutelle de l'évêque et s'emparent des revenus de l'abbaye.

2- Vers 1550, les comtes des deux branches cousines prennent la décision de ne plus payer les redevances de location à l'abbaye de Senones, manifestant ainsi leur droit de propriété.

3- Enfin, c'est le coup d'État de 1571, lorsque Jean IX et Frédéric, lointains cousins et beaux-frères issus de ces deux branches, organisent ce que l'on peut appeler un coup d'État, en se déclarant seigneurs de tout le territoire de l'abbaye de Senones : ils se font reconnaître, par la population et devant huissiers, comme étant les seuls seigneurs de la région. Désormais le comté va s'affranchir des suzerainetés et s'agrandit au gré des alliances et des négociations. Il devient une petite puissance régionale, qui s'étend désormais du col de Saales au nord de Badonviller, qui en devient la capitale. Le comté est alors en indivision, et suivant le village ou la maison où l'on vit, on paie l'impôt à l'un ou l'autre des seigneurs.

4- En 1623, le comte de Salm Philippe Otton (branche germanique) est élevé par l'empereur Ferdinand II au titre de prince d'Empire, ce qui fait que sa part devient une principauté. Vingt ans plus tôt, l'autre part avait été accaparée par le duché de Lorraine.

5- En 1736, le duc de Lorraine François III, devenu comte de Salm par héritage, quitte la Lorraine pour l'Autriche afin d'épouser Marie-Thérèse de Habsbourg. Son indivisaire, Nicolas-Léopold, s'inquiète de perdre ses terres ; il négocie alors la fin de l'indivision, et devient ainsi en 1751 l'unique seigneur d'une principauté indépendante dont le territoire n'est autre que celui d'origine de l'abbaye de Senones. Trois princes vont s'y succéder, et faire de Senones leur capitale (deux châteaux y sont construits), qui connaît une certaine prospérité, avec une administration, une petite bourgeoisie, des artisans et des commerçants.

5- Arrive la Révolution. La Convention impose à la principauté de Salm un blocus économique qui menace ses habitants de la famine. Le conseil municipal de Senones n'a d'autre choix que de voter le rattachement à la République française le 21 février 1793. Le traité, ratifié à Paris par la Convention nationale le 2 mars, précise, non sans cynisme, que la Convention accepte : « le vœu librement émis par le peuple de la ci-devant principauté de Salm ... ». Sous l'égide du conventionnel Couthon, l'ancien territoire de la principauté qui compte plus de 12 000 habitants est définitivement incorporé au département des Vosges.




-- Abbaye de Senones --

Fondée en 640, l'abbaye va très vite s'enrichir grâce aux terres qui l'entourent. Jusqu'à la Révolution française, des évènements et des personnages marquants participent à la richesse et au rayonnement de Senones, tels Antoine de Pavie ou Richer de Senones qui décrit dans ses chroniques la vie quotidienne d'une abbaye ouverte sur le monde. Au XVllle siècle, l'abbatiat de dom Calmet marquera définitivement la vie de l'abbaye. Par son érudition et ses écrits, il attire les écrivains et philosophes d'Europe entière. Il enrichit considérablement la bibliothèque, pour laquelle Voltaire « se fera moine » pendant près d'un mois. A la Révolution, les bâtiments de la prestigieuse abbaye sont reconvertis en usines textiles. Les anciens hôtels particuliers font toujours face à l'abbaye, créant depuis les hauteurs un centre historique du XVllle siècle peu commun. L'abbaye de Senones vaut aujourd'hui par son ensemble architectural bien conservé. On peut déambuler dans les grandes cours, le cloître, les anciens jardins de l'abbé puis des directeurs d'usine.

Abbaye de Senones
Un ensemble remarquable des XVIIIe et XIXe siècles
Les "trois églises"


- Visite de l'abbaye en 16 photos -



 

       


2. Cour d'honneur et porte d'entrée
3. Palais abbatial (1761)
4. Entrée du monastère (1733)
5. Escalier d'honneur (1733)
6. Cloître (1708)
7b. Pavillon Dom Calmet (1732)
7c. Grand bâtiment agricole (1731)
7d. Bibliothèque (1719 et 1749)
8a. Emplacement de l'ancienne église abbatiale
8b. Eglise actuelle (1860)
Le palais abbatial, résidence de l'abbé, a été plusieurs fois reconstruit.
Le bâtiment actuel a été édifié sous Dom Fangé et date de 1763.



-- Le repas de midi --



 


-- Abbaye de Moyenmoutier --

Senones et Etival cédèrent une partie de leurs dotations à saint Hydulphe, venu en l'an 671 christianiser ces terres « sauvages ». Le prestige du saint homme attire de nombreux moines et l'abbaye acquiert pouvoir et influence. Mais en 915, les invasions hongroises dévastent la Lorraine et l'abbaye de Moyenmoutier est détruite. La richesse retrouvée, les tentations sont nombreuses... Hubert de Parroy n'y résiste pas et prend le contrôle de Moyenmoutier et de son territoire.
En 1612, la réforme de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe insuffle un nouvel élan spirituel grâce au rassemblement d'une élite intellectuelle et savante qui sera l'académie de Moyenmoutier; sa bibliothèque devient l'une des plus importantes d'Europe. Avec la Révolution française, les bâtiments abbatiaux sont vendus comme biens nationaux aux industriels du textile et les jardins sont remplacés par des ateliers.
Un renouveau s'est engagé récemment : la façade s'est libérée des bâtiments qui la masquaient, les jardins ont retrouvé leur splendeur. Seule église baroque de Lorraine, l'église abbatiale surprend par ses dimensions et la technicité employée pour son élévation.
Le mobilier est tout aussi exceptionnel, tels l'ensemble de stalles sculptées du XVlle à l'avant-chœur de l'église, le buffet d'orgue, ou l'oratoire qui abrite le tombeau du fondateur de l'abbaye.


Un équilibre du 18ème siècle
L‘église Notre-Dame et St-Hydulphe de Moyenmoutier surprend par ses vastes proportions (hauteur 30 m, longueur 60 m, largeur 16 m) et une construction en contreforts à l’extérieur, sans colonnes à l’intérieur. Le secret de cette architecture réside dans la charpente qui a la forme d’un bateau renversé : un savant entrelacs de poutres renvoie, par un subtil jeu d’équilibre des forces, la charge sur les pilastres et les murs de l’église. La nef de cinq travées et le cœur sont couverts de voûtes bombées séparées par des doubleaux à caissons ornés de rosaces.





 


 

-- Abbaye d'Etival --

Sainte Odile et sainte Richarde l'ont marquée de leurs empreintes, les prémontrés y ont installé le papier et ont construit une des plus belles églises romanes des Vosges.
Porte d'entrée du Pays des Abbayes, Etival serait la plus ancienne des cinq abbayes de la croix monastique de Lorraine. Le couvent aurait accueilli sainte Odile avant qu'elle ne fonde le monastère de Hohenbourg en Alsace. Il sera le refuge de sainte Richarde, épouse répudiée de Charles le Gros. Elle y fit son noviciat et participa à l'installation des chanoines.
Au Xlle siècle, de nouveaux moines de l'ordre des prémontrés arrivent et se chargent de reconstruire l'abbaye. Sous leur impulsion apparaissent en 1512 les premières papeteries. Indépendante de toute tutelle jusqu'au XVllle siècle, le rattachement de l'abbaye à plusieurs évêchés successifs la fera sombrer dans l'oubli. Pour partie détruite en 1944 lors de la fuite des troupes allemandes, elle sera reconstruite et redeviendra un des joyaux de l'art roman lorrain.
Considérée comme l'une des plus belles églises romanes des Vosges, l'église abbatiale abrite de remarquables embellissements du XVIe siècle. Dans ce bel édifice de grès rose, la chapelle Sainte-Richarde, les vitraux (trois générations de Grüber y ont travaillé) et la façade monumentale classique contribuent à l'harmonie de l'ensemble abbatial. Les bâtiments conventuels construits autour de deux cours ont été transformés en habitations à partir de la Révolution française, mais gardent de magnifiques éléments du XVIIIe siècle.


L'église avant la Seconde Guerre mondiale.

Un ensemble roman
Construite en grés, Notre-Dame d'Etival est une des plus belles et plus complètes églises romanes des Vosges, typique de l'art roman du sud de la Lorraine, les piliers sont alternativement forts et faibles, à chaque travée de la grande nef correspondent deux travées dans les bas-côtés, les murs d'élèvent sur deux étages avec des fenêtres jumelées en haut et des fenêtres simples au rez-de-chaussée. La seule fenêtre romane subsistante est sur le bas-côté sud. Si l'architecture est romane, la décoration de la nef construite vers 1200 annonce le gothique : piliers cylindriques, chapiteaux avec de gros crochets ornés uniquement de feuillages, croisées d'ogives.


La tour détruite par l'occupant en 1944 a été reconstruite du côté droit mais avec un étage en moins.


Le groupe avant la visite de l'abbaye d'Etival.

| Retour |